Un sondage bouscule la gauche : Glucksmann passe devant Mélenchon. Aussitôt, les “analyses” fusent, les éditos s’enflamment et chacun-e y va de sa prophétie de comptoir — comme si l’élection avait lieu demain. Reste qu’au-delà des commentaires à l’emporte-pièce, les réactions suscitées par ce sondage disent beaucoup de l’état réel des forces politiques en France…
Raphaël Glucksmann mènerait la danse à gauche si l’élection présidentielle se tenait dans les prochains jours. C’est ce que révèle le dernier sondage IFOP pour Sud Radio et L’Opinion. Si, déjà, des enquêtes ont précédemment suggéré sa montée en puissance au sein de la gauche non Mélenchoniste, il s’agit en revanche de la première fois où le leader de Place publique, parti qu’il codirige avec l’économiste et Députée européenne Aurore Lalucq, voit un sondage le placer en tête à gauche et ce, quelle que soit la configuration testée. Un changement de paradigme à gauche qu’il s’agit, somme toute, de relativiser : Si Raphaël Glucksmann dépasse effectivement Jean-Luc Mélenchon, l’écart reste peu important, avec un score compris entre 14 % et 16 % pour le leader de Place publique, et entre 12 et 13 % pour le chef de file insoumis. En outre, il paraît nécessaire de rappeler que 18 mois nous séparent encore de l’échéance présidentielle.
Une dissolution surprise, la censure de deux gouvernements (et probablement bientôt d’un troisième), un bloc “central” qui, depuis les législatives, reste dans le déni le plus complet de son désaveu : ces derniers mois de grand n’importe-quoi politique montrent que d’ici le printemps 2027, tout peut encore arriver. Le meilleur comme le pire. Et surtout le pire, puisque, comme le montre le sondage de l’IFOP (et tous les sondages qui l’ont précédé) : quel-les que soient les candidat-es de gauche et quel-les que soient les candidat-es de droite, le RN domine, de loin, tous les partis au premier tour et accède ainsi, à chaque fois, au second tour. Et il n’est pas dit qu’une nouvelle dissolution n’interviendra pas d’ici là. Sans oublier l’impact qu’auront eu les Municipales sur les rapports de force en local, tant à gauche qu’à droite de l’échiquier politique…
Pourtant, chaque média, chaque éditorialiste politique y va, depuis hier, de sa petite analyse bricolée en cinq minutes, sans réelle prise de recul, ni mise en perspective des chiffres annoncés, comme si le premier tour avait lieu la semaine prochaine. C’est le cas des Échos, pour qui l’émergence de Raphaël Glucksmann serait due…au “combat que mène le PS sur le budget”. Sauf que Raphaël Glucksmann n’est pas au PS. Et que son parti, Place publique, a, lui aussi, présenté un budget alternatif.
Un PS…en PLS.
D’autre part et d’après les différentes enquêtes menées ces derniers mois (ces dernières années, même), aucun cadre du PS n’arrive, jamais, à émerger. Un manque patent de figure socialiste mobilisatrice, illustré par le sondage d’hier : pourtant fraîchement reconduit (de peu, certes) à la tête du parti, Olivier Faure, n’est crédité que de 7 % des intentions de vote. Une réalité qui a apparemment échappé aux Échos, mais qui n’a pas échappé au PS qui, dans l’optique des Municipales de 2026, se trouve en pleine phase de négociations avec ses parternaires de gauche dont, notamment, Place publique. Ainsi, dans le cadre de la législative partielle de la 5e circonscription des Français établis hors de France, les socialistes ont-ils décidé de présenter, au tout dernier moment, un candidat face au candidat Place publique, tête de liste, au départ, d’une alliance entre les deux partis. Pourquoi un tel revirement ? Très certainement pour peser sur les négociations en amont des Municipales, en montrant qu’au fond, l’alliance PS-PP, c’est surtout le PS. Si telle était leur ambition, c’est raté : avec, au premier tour, un candidat Place publique enregistrant 8 % des voix et un candidat socialiste en affichant 9 %, on se retrouve peu ou prou avec un rapport de force…de 50-50.
Une gauche unioniste qui dramatise et brasse du vent (autour du vide).
Il semble en tout cas évident que Raphaël Glucksmann qui, jusqu’ici, avait été utile au PS dans sa tentative de reprendre le leadership à gauche, devient, pour Olivier Faure, un allié un peu trop encombrant, ce dernier lui faisant, indéniablement, beaucoup trop d’ombre. Et c’est peu dire. Les dernières enquêtes d’opinion le montrent : lorsqu’il s’agit de choisir la meilleure incarnation pour leur parti, les sympathisant-es PS plébiscitent Raphaël Glucksmann à une large majorité. De fait et dans l’optique de ré-émerger lui-même à gauche, Olivier Faure a construit, en vue de sa réélection à la tête du PS, toute sa campagne interne sur une ligne unioniste regroupant la gauche “de Ruffin à Glucksmann”. Un slogan évocateur de sa volonté de se détacher de son allié des Européennes, en plaçant Place publique à la droite de la gauche soit, en somme, en adoptant la stratégie de… Jean-Luc Mélenchon.
Monsieur Faure, par pitié, faites preuve d’un peu d’imagination. Cessez de vous servir du travail de fond (comme avec Place publique aux Européennes) ou de la stratégie électorale (comme ici avec Mélenchon) des autres. Soyez vous-même, cela fonctionne. Ce sondage en est la preuve : malgré tout ce qui sépare Jean-Luc Mélenchon et Raphaël Glucksmann, ils ont au moins cela en commun qu’il sont et restent, tous les deux, fidèles à eux-mêmes. Il n’était pas utile, par exemple, de faire toutes ces simagrées à l’annonce du ralliement de Sacha Houlié au groupe PS et apparentés à l’Assemblée nationale. Grâce à son arrivée (et à celle de Belkhir Belhaddad), votre groupe atteint les 68 membres soit, peu ou prou, autant que le groupe LFI (71 membres). Ce n’est pas ce que vous vouliez ? Qui plus est, je vous rappelle que François Hollande siège déjà dans votre groupe. Est-ce un exemple de “pureté idélologique de gauche” ? Non. Preuve en est le bilan de son quinquennat, et la fuite massive d’adhérent-es socialistes et, aussi et surtout, de cadres frondeur-euses qu’il a générés. Des frondeur-euses parmi lesquel-les Aurélie Filipetti qui, dès 2014, quittait le gouvernement pour, ensuite, soutenir la candidature de Benoît Hamon en 2017 et qui, on l’a appris la semaine dernière, vient de rejoindre… Place publique. Elle emboîte ainsi le pas, entre autres, de Thierry Brochot et du sénateur Bernard Jomier, tous-deux issus de EELV. Et considérant l’évolution des rapports de force à gauche, d’autres devraient suivre, vidant de sa substance ce qu’il reste de la gauche “unioniste”. Une gauche “patchwork” dont, certes, les membres se rejoignent sur de nombreux sujets, notamment sociaux, mais qui ont des divergences immenses sur d’autres sujets, telles leurs positions sur les questions internationales.
Surtout, cette gauche n’a pas de programme. Ni même de projet. Encore moins de vision sur le long terme pour notre pays. Alors elle s’accroche au programme du NFP, lui-même construit sur la base du projet de LFI (seul parti de gauche, en juin 2024, à avoir d’ores et déjà réellement travaillé sur le fond). À l’image de Marine Tondelier lors des Rencontres de la gauche à Bram, le week-end dernier, cette gauche brasse du vent en dramatisant sur une union qui serait essentielle pour que la gauche atteigne le second tour. Ce sondage le montre : c’est faux.
“On va raconter n’importe quoi, on sait jamais, sur un malentendu, ça pourrait marcher”…
Pourtant, dans des propos relayés par le Parisien, la cheffe des Écologistes déclarait samedi ne pas vouloir “se laisser enfermer entre les stratégies personnelles de Mélenchon et de Glucksmann”. Outre le caractère fallacieux de faire reposer sur une union de toute la gauche une hypothétique victoire face au RN en 2027, elle se fourre, de plus, le doigt dans l’œil jusqu’au coude lorsqu’elle parle d’ambitions personnelles à l’endroit de Raphaël Glucksmann. Car autant Jean-Luc Mélenchon ne s’est jamais caché de vouloir accéder, un jour, à l’Elysée (un objectif logique et attendu pour quiconque fait de la politique depuis aussi longtemps que lui), autant cette ambition est loin d’être une évidence pour Raphaël Glucskmann. Du moins, si l’on se réfère à la plupart de ses déclarations. À l’issue des législatives de 2024, il avait notamment déclaré ne pas être candidat à Matignon, avouant qu’il ne se sentait “pas prêt” à envisager de telles responsabilités. Concernant son éventuelle candidature en 2027, il a affirmé avant l’été ne pas particulièrement nourrir cette ambition, mais souhaiter que la gauche non Mélenchoniste puisse travailler, ensemble, sur la base du projet de son parti, dont il a présenté une première esquisse en juin dernier. Ce qui importe n’est pas qui, mais pour faire quoi, avait-il affirmé en substance. Il semble donc plutôt mû par la volonté, non pas de gouverner lui-même la France, mais que la France soit gouvernée par sa vision (comme il le dit) ou, plus largement, celle portée par son parti. Pour être parfaitement honnête, je pense qu’il n’en a pas envie, mais qu’il se dit qu’il devra y aller si aucune autre alternative ne se présente pour mener la gauche non Mélenchoniste à l’Elysée. Seulement, en l’état, et ce sondage le prouve, il est le seul candidat putatif à pouvoir faire la différence au sein de cette gauche (en tout cas pour l’instant) et ce, qu’il le veuille ou non. Une gauche qui, au premier tour, sera indubitablement confrontée au candidat insoumis. Autrement dit, à Jean-Luc Mélenchon. Un Jean-Luc Mélenchon qui, selon L’Opinion, surjouerait en fait “la rivalité avec le leader de Place publique afin de s’assurer qu’aucune autre offre ne puisse émerger à gauche d’ici à la présidentielle de 2027”. Ah bon ? Pourquoi voudrait-il empêcher une candidature alternative à Glucksmann à gauche, sachant que c’est son adversaire le plus difficile à battre ? Une potentielle candidature d’un Olivier Faure plafonnant à 7 % dans les sondages serait tout de même de meilleure augure pour le leader insoumis. Pourtant, d’après L’Opinion qui, selon toutes apparences, prend les EDL électoralistes de LFI et du PS pour des réalités, affirme qu’”avec le leader de Place publique, [Jean-Luc Mélenchon] s’est trouvé un adversaire idéologique idéal pour ne pas boxer dans le vide – nettement plus libéral et européiste sur le plan économique, facile à caricaturer en « atlantiste va-t-en-guerre » sur la partie internationale.” Une analyse flemmarde qui choisit la facilité et qui, in fine, ne nous apprend… absolument rien. Pire. Cette “analyse” n’est que le symptôme d’un dangereux glissement des médias vers une post vérité où la quasi totalité des journalistes font fi du fond et des idées et, lorsqu’il s’agit de décrypter les rapports de force politiques, se fient exclusivement aux déclarations à l’emporte-pièce, aux invectives et rhétoriques électoralistes (si ce n’est aux mensonges) de tout un chacun.
Un droite “républicaine” qui tente de faire revenir ses électeurs par tous les moyens (quitte à mentir toute la sainte journée).
Il faut dire que, dans un contexte de “droitisation par le haut” de la France, où les médias traditionnels penchent inexorablement vers la droite ultra-libérale et conservatrice, si ce n’est l’extrême droite, cette simplification sert, justement et au premier chef, la droite et l’extrême droite. Un phénomène (déplorable) dont la droite, Bruno Retailleau en tête, fait son pain béni. Quoi de mieux pour le patron d’un parti qui, ces dernières années, a vu son électorat fondre comme peau de chagrin, vidé à sa gauche par la Macronie et siphonné à sa droite par le RN, qu’une gauche entièrement “soumise à Mélenchon” (dixit Retailleau lui-même) pour récupérer la part de son électorat qui s’était tourné vers le Rassemblement National ?
De fait, n’est-ce pas plutôt la droite, et non Jean-Luc Mélenchon, qui souhaiterait qu’il n’existe aucune offre de gauche de rupture hors LFI pour permettre, ainsi, à la droite de se poser en seule alternative viable face, soit à une gauche “extrême” et donc “dangereuse”, soit à une gauche “néolibérale” qu’ils pourront assimiler au centre et à aux moult manquements et échecs de la Macronie ? Et tant pis si LFI n’est pas un parti d’extrême gauche et si Place publique n’est pas un parti pronant le néolibéralisme. Après tout, ne dit-on pas que la fin justifie les moyens ?
RIP la Macronie.
Qu’il s’agisse de Raphaël Glucksmann importe peu finalement. Seul compte le fait que le premier de cordée de la gauche se retrouve, de facto, l’ennemi à abattre pour la droite. C’est lui aujourd’hui. Ce sera peut-être quelqu’un d’autre demain. Toujours est-il que le sondage d’hier montre qu’à l’exception du RN, l’accession de la droite et, aussi et surtout, du « centre » à l’Elysée semble tout sauf acquise : il révèle non seulement que la gauche peut accéder au second tour, devant Bruno Retailleau (qui, avec un score compris entre 9 et 13 % devancerait de 2 points Gabriel Attal, de 6 points sur Gérald Darmanin et de 10 points sur François Bayrou), mais aussi qu’au premier tour, le cumul des votes, à gauche, dépasserait (enfin !) les 30 %, et celui de la droite et de l’extrême droite atteindrait les 50 %, alors que le score du « centre » plafonnerait à 16 % dans le cas d’une candidature d’Edouard Philippe qui, de surcroît, n’est même pas membre de Renaissance.
Au fond, une seule certitude émerge de ce sondage. La certitude de la mort programmée de la Macronie. Et que ce soit à gauche ou à droite, nombreux seront celles et ceux à danser sur sa tombe le moment venu.