“Plus jamais ça”, la promesse oubliée du 9 novembre

“Plus jamais ça”, la promesse oubliée du 9 novembre
Berlin 1989, Chute du mur © Raphaël Thiémard

Le 9 novembre est une date historique particulière pour les Allemands, chargée d’événements majeurs : de la création de la République de Weimar à la chute du Mur en RDA, en passant par le putsch manqué d’Hitler et surtout par le pogrom de la Nuit de Cristal de 1938. C’est en raison de cette accumulation qu’il fut choisi de ne pas en faire le jour de la fête nationale allemande. La commémoration et le débat qui entourent ce jour ne se résument pas à un simple événement, mais à une phrase : « Plus jamais. » Une phrase qui, à l’ère de Trump et du retour des murs et des frontières dans le monde, semble avoir perdu de sa force et de son importance.

En Allemagne, on observe le rétablissement des contrôles aux frontières par Merz, l’abandon des politiques en faveur des migrants et un alignement progressif sur les idées de l’extrême droite. Où sont donc passées les valeurs fondamentales de ce 9 novembre ? N’est-ce pas glaçant d’entendre le Chancelier allemand déclarer que l’immigration est un « problème dans le paysage urbain » ? Le sous-entendu est clair : il y a trop d’immigrés en Allemagne, et en plus, ils sont visibles. On a l’impression d’entendre les discours de la fin de la République de Weimar.

Quand je constate la montée de l’AfD dans cette ancienne RDA, dont on célèbre aujourd’hui la chute, comment ne pas être effrayé ? Il y a 36 ans, la chute du Mur en Allemagne et dans le monde semblait annoncer un futur radieux, des lendemains qui chantent.

Aujourd’hui, il est probable que d’ici quelques mois, l’extrême droite allemande dirige, pour la première fois depuis le Troisième Reich, un des Länder allemands (la Saxe-Anhalt). Nous nous souvenons tous que la conquête du pouvoir par les nazis avait commencé par une victoire électorale dans le Land de Thuringe en 1932. N’avons-nous donc rien appris ?

Le monde entier semble être à un tournant. La Chine communiste et son pouvoir autoritaire ne cessent d’étendre leur influence en Asie, en Afrique et en Amérique du Sud. La Russie de Vladimir Poutine poursuit sa guerre totale contre l’Ukraine, massacrant chaque jour des civils ukrainiens dans l’indifférence quasi totale du monde. En Israël, si un cessez-le-feu a été signé, la paix reste fragile et le pouvoir de Netanyahou devient chaque jour plus autoritaire. L’Amérique, elle, semble basculer dans un régime digne de la Russie avec Donald Trump à sa tête. Selon l’Institut Varieties of Democracy, qui publie chaque année un rapport sur l’état de la démocratie, la situation est pire qu’en 1989.

Nous qui célébrons la chute d’un mur, du Rideau de fer coupant l’Europe en deux blocs, nous semblons ne rien avoir appris. Le retour des frontières est demandé par la majorité des pays européens. Les murs, que l’on pensait disparus, sont également de retour partout dans le monde, parfois bien plus massifs et effrayants que ceux de la RDA.

On trouve ainsi des murs impressionnants à la frontière entre le Bangladesh et l’Inde, entre Israël et la Cisjordanie, aux États-Unis avec le Mexique, ou encore aux frontières extérieures de l’Union Européenne, comme au Maroc dans l’enclave espagnole de Melilla.

Mur de barbelés entre la Hongrie et la Serbie
Le mur de barbelés séparant la Hongrie et la Serbie, érigé en 2015 © Délmagyarország/Schmidt Andrea

Si bien décrite par Orwell dans 1984, la société de contrôle et de surveillance de l’URSS et des républiques du Pacte de Varsovie a été pendant des décennies le modèle à ne pas suivre pour l’Occident, et notamment pour l’Europe de l’Ouest. On n’ose imaginer la puissance qu’aurait eue la Stasi ou le KGB à l’ère d’Internet et des outils de contrôle de masse. La situation serait sûrement similaire à ce qui se passe aujourd’hui en Chine, où l’ensemble de la population vit sous le contrôle des nouvelles technologies. Et, ce qui est inquiétant, beaucoup de pays occidentaux semblent vouloir aujourd’hui en partie suivre cet exemple…

L’une des leçons de la chute du Mur fut que le modèle socialiste proposé par l’URSS et ses républiques satellites ne fonctionnait plus sous la surveillance. Mais c’était aussi parce que l’Ouest avait su offrir à ses citoyens, en plus du confort matériel de la société de consommation, des droits sociaux et de grandes réformes progressistes, ce que les régimes politiques comme celui de la RDA ne savaient plus faire à la fin. Or, aujourd’hui, partout dans le monde dans nos démocraties, on détricote ces avantages. Comment s’étonner alors que le vote d’extrême droite ne cesse de prendre de l’ampleur ? En Allemagne, on parle de passer la retraite à 73 ans et de revenir sur les acquis sociaux du temps de travail obtenus sous la RFA.

Nous devons nous souvenir de l’Histoire. Nous devons nous souvenir pourquoi, en 1989, à Leipzig, à Varsovie, à Bucarest, les citoyens de ces républiques socialistes se sont révoltés et ont exprimé le souhait de vivre autrement. Nous ne pouvons continuer à commémorer la chute d’un mur et les prémices de la Shoah sans mettre nos actes en pratique dans nos politiques et nos actions de tous les jours.

Il ne faut pas oublier le 9 novembre. Si l’Histoire nous apprend bien une chose, c’est que jamais rien n’est écrit à l’avance. Qui, en 1988 en Allemagne, sentait la disparition prochaine de la RDA ? En tout cas pas ses dirigeants qui commémoraient en grande pompe le 40e anniversaire de la République démocratique allemande.

N’oublions pas le 9 novembre.

Pour aller plus loin : 

« La situation de la démocratie dans le monde est pire que celle que nous avons connue dans les années 1930 »

Friedrich Merz provoque une vive polémique en décrivant l’immigration comme «un problème dans le paysage urbain»

Auch in Sachsen-Anhalt Debatte um Brandmauer Kanzler Merz: AfD will die CDU vernichten

9. November 1938 | Jüdisches Museum Berlin

Auteur-ice

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Juillet 1995. Royan. Charente Maritime. J’ai 17 ans. Je ne vis, alors (presque) que pour la musique. Pour le rock. Le punk. Le grunge. Les chemises à carreaux, les jeans troués. S’habiller comme un as de pic tout en se maquillant comme un camion volé.