Omnibus I : Les lobbies, l’union des droites et la fin de l’Europe sociale

Omnibus I : Les lobbies, l’union des droites et la fin de l’Europe sociale

Il y a des jours importants dans l’histoire des démocraties. Ces jours qui resteront dans les livres d’histoire alors que les journaux de condamnés prendront la poussière dans les greniers.

Aujourd’hui, vous vous réveillez dans une Europe où les lois qui protègent votre santé, votre environnement et vos droits sociaux ont été démantelées en une seule nuit. Pas par un coup d’État, pas par une guerre, mais par un vote.

Hier, le Parlement européen a adopté l’Omnibus I, un texte qui sonne comme un arrêt de mort pour le devoir de vigilance des entreprises et, avec lui, pour des décennies de luttes écologiques et sociales.

Adopté en avril 2024 après onze ans de combat suite à l’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh, le devoir de vigilance était une avancée historique : il obligeait les multinationales à prévenir et réparer les atteintes aux droits humains et à l’environnement tout au long de leur chaîne de production. Un outil juridique pour contraindre les géants du pétrole, de la chimie ou de la finance à rendre des comptes. Mais hier, sous prétexte de «simplifier» la vie des entreprises et de doper leur «compétitivité», les députés européens ont voté sa destruction. Désormais, seules les entreprises de plus de 5 000 salariés et 1,5 milliard € de CA seront concernées (contre 1 000 salariés auparavant). Encore plus grave : les plans de transition climatique, qui devaient garantir la compatibilité des stratégies d’entreprise avec l’Accord de Paris, ont purement et simplement disparus, envolés. Les États membres ne pourront plus imposer de règles plus strictes que celles de l’UE, et la responsabilité civile européenne, qui permettait aux victimes de saisir la justice, a été supprimée.

Un cadeau de Noël anticipé pour ExxonMobil, TotalEnergies, Chevron, Dow Chemical ou JPMorgan Chase, dont les lobbies ont orchestré cette régression depuis des mois, avec l’appui du cabinet de lobbying américain Teneo et de puissances étrangères comme les États-Unis et le Qatar.

Quand l’Europe sacrifie ses citoyennes et citoyens sur l’autel de la compétitivité

Ce vote n’est pas une simple réforme administrative. C’est une bombe à retardement sociale et environnementale. C’est la première étape de 13 jalons qui vont réduire à néant l’Europe sociale et écologique.

Concrètement, les multinationales pourront désormais produire, importer et vendre en Europe sans craindre de sanctions pour le travail forcé, la pollution massive ou la destruction des écosystèmes, tant que ces crimes ont lieu hors de l’Union européenne. Les travailleurs du textile au Bangladesh, les communautés indigènes d’Amérique latine empoisonnées par les pesticides, les enfants exploités dans les mines de cobalt, les Ouïghours en esclavage en Chine voient s’évanouir leurs possibilités de recours contre les entreprises européennes. En Europe aussi, les citoyens paieront le prix fort. Sans devoir de vigilance, plus rien n’empêchera les industriels de déverser des produits toxiques dans nos assiettes, nos sols ou notre air, si leurs états choisissent de fermer les yeux. Les scandales sanitaires et écologiques pourront se multiplier, les victimes n’auront plus aucun moyen de se défendre.

Comment en est-on arrivés là ? Par une stratégie méthodique. Dès février 2025, la Commission européenne, sous l’impulsion de Stéphane Séjourné, a présenté l’Omnibus I comme une nécessité pour «alléger» les contraintes pesant sur les entreprises. En réalité, ce texte était une porte ouverte à la dérégulation généralisée, taillée sur mesure pour les lobbies industriels. Pendant des mois, ces derniers ont exercé une pression sans précédent : rencontres secrètes avec des rapporteurs comme Jörgen Warborn (PPE), menaces de représailles économiques, campagnes de désinformation. Le cabinet Teneo, mandaté par les géants du pétrole et de la chimie, a même piloté la rédaction d’amendements pour affaiblir le texte. Pendant ce temps, les alertes des ONG, des syndicats et des scientifiques étaient ignorées. Résultat : un texte qui, sous couvert de « simplification », vide de sa substance le Pacte vert européen et offre une immunité de fait aux pires pollueurs.

Lobbies, droites unifiées et trahisons politiques

Hier, le Parlement européen a voté à 428 voix contre 218 en faveur de l’Omnibus I. Une majorité composée de la droite libérale (Renew), de la droite conservatrice (PPE) et, pour la première fois de l’histoire, de l’extrême droite (ECR, Patriotes pour l’Europe, ESN). Pour le répéter plus explicitement, la droite libérale d’Emmanuel Macron et la droite conservatrice européenne de François-Xavier Bellamy viennent de voter avec l’extrême droite de Marion Maréchal Le Pen, Jordan Bardella et Sarah Knafo.
Une alliance inédite et assumée, qui marque la fin du «cordon sanitaire», cette ligne rouge qui empêchait les partis d’extrême droite de peser sur les décisions européennes. «Les digues ont lâché», résume Swann Bommier, de l’ONG Bloom. Le PPE et Renew, qui avaient pourtant célébré l’adoption du devoir de vigilance en 2024, ont choisi de s’allier avec ceux qui veulent sa destruction. 

Pourquoi ? Par calcul. Pour conserver des postes, des financements, une influence. Parce que, comme l’a dit un eurodéputé sous couvert d’anonymat, «la compétitivité de l’UE vaut bien une alliance avec l’extrême droite». Une trahison en règle, qui montre à quel point les petits jeux politiques priment sur l’intérêt général. Pendant ce temps, les lobbies industriels, eux, ont obtenu exactement ce qu’ils voulaient : un texte écrit par eux, pour eux, et qui leur garantit l’impunité.

L’idéologie fasciste n’encombre pas les libéraux face à l’utopique promesse de l’éternelle croissance. Beaucoup d’écrits le disent et le spectacle qui se déroule sous nos yeux actuellement n’en est que la triste confirmation.

Un jour de deuil démocratique

Ce vote est un séisme parce qu’il acte la mort d’un idéal. Celui d’une Europe protectrice, ambitieuse, porteuse de droits et de justice dans le monde. Désormais, les multinationales pourront continuer à détruire la planète et exploiter les travailleurs sans craindre de conséquences. Les citoyennes et citoyens, eux, devront payer les pots cassés. 

Le pire ? Tout cela a été fait en pleine lumière, démocratiquement, avec la bénédiction des institutions et le silence complice des médias des milliardaires. 

Pourtant, il reste une lueur d’espoir : la colère. Celle des associations, des syndicats, des citoyens qui refusent de se résigner. Hier, des manifestations ont éclaté devant le Parlement européen. Des pétitions circulent. Des voix s’élèvent pour exiger que cette trahison ne reste pas impunie. Parce que si le 16 décembre 2025 restera comme le jour où l’Europe a choisi le camp des prédateurs, il peut aussi devenir celui où les Européens ont décidé de se battre.

Aux prochaines élections, il faudra se souvenir des noms de ceux qui ont voté pour ce texte. Se souvenir que Renew, le PPE et l’extrême droite ont scellé une alliance contre nos droits. Se souvenir que, face à la machine infernale des lobbies et des partis complices, la seule réponse possible, c’est l’engagement. Dans la rue, dans les urnes, partout où la démocratie se joue. 

Parce que pleurer est autorisé.
Se taire, se résigner, jamais.


Sources :

Reporterre, 17/12/2025 : « Devoir de vigilance : le cadeau de Noël de l’Europe aux multinationales »

Mediapart, 16/12/2025 : « Devoir de vigilance : la directive européenne est définitivement affaiblie »

AFP, 16/12/2025 : « Devoir de vigilance des entreprises: les eurodéputés actent assouplissement et report de la loi »

BLOOM, 16/12/2025 : « Omnibus I : sous la baguette de Trump, l’Europe entre dans la nuit »

Vert.eco, 13/11/2025 : « Une faillite morale absolue : le Parlement européen vote la loi Omnibus et acte plusieurs reculs sociaux et environnementaux »

Oxfam France, 17/11/2025 : « Parlement européen : en pleine COP 30, droite et extrême droite s’allient pour sacrifier le climat et les droits humains »

Auteur-ice

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