Les médias (et la démocratie) à l’épreuve de X.

Les médias (et la démocratie) à l’épreuve de X.

À force de prendre leurs repères sur la plateforme d’Elon Musk, journalistes et éditorialistes politiques se sont laissés happer par les logiques de buzz et d’outrance. Une dépendance qui déforme l’information, nourrit les discours populistes et menace directement notre démocratie.

Comment les gens me voient quand ils lisent mes posts Bluesky après avoir lu mes tweets :

À vrai dire, j’ai la même impression. Et il m’est arrivé plus souvent qu’à mon tour de me retenir in extremis de répondre de façon un peu trop cavalière à tel ou tel post qui me scandalise. M’est avis qu’il en va de même pour nombre d’utilisateurs, parmi lesquels, les journalistes et éditorialistes politiques.

Pour preuve, la façon dont est commentée chaque séquence politique depuis la dissolution : “Ils sont constamment dans l’outrance et la caricature”, lançait récemment une éditorialiste sur France Info à l’endroit des membres du NFP, qui peinaient à se mettre d’accord sur une motion de censure. Une motion de censure qui, si elle est adpotée ce soir, pourrait amener la France à vivre une séquence similaire à celle de cet été. Autrement dit, nous pourrions de nouveau avoir affaire, chaque jour, à un enchaînement de scoops quant à la nomination de notre prochain-e Premièr-e ministre. Comme au cours des deux mois qui ont suivi les élections législatives, ces “révélations” seront démenties une à une, le plus souvent au bout de quelques heures. Au cours de cette séquence pathétique et démocratiquement désastreuse, les commentateurs-trices ont fait preuve d’un amateurisme certain, favorisant les discours populistes, souvent par omission voire pafois par manque criant de professionnalisme. Ces manquements furent révélés quand dans l’entre-deux tours, seuls les chaînes régionales & des enquêteurs amateurs ont mis au jour les profils désastreux de nombreux candidats du RN. Cette favorisation est le symptôme d’une Muskisation des médias elle-même indirectement induite par les effets délétères de l’algorithme d’Elon Musk (qui favorise plus que jamais les discours clivants et violents), les journalistes ayant quasiment tous l’habitude de faire leur veille politique sur X.

À mesure que le milliardaire met en branle son ambition de peser de tout son poids sur le débat public, ces mêmes journalistes (et tous les users), tels des grenouilles cuisant à petit feu, s’habituent à leur insu aux discours provocateurs, au campisme et à la simplification à l’extrême des idées. Durant tout l’été, les éditoralistes et journalistes politiques n’ont eu de cesse de relayer, le plus souvent tels quels et sans leur apporter la moindre nuance, le moindre contexte ou la moindre contradiction, chaque provocation, chaque mensonge, chaque inversion accusatoire. Cette obsession pour ce qui clive a plongé la France dans un monde parallèle dystopique où Jean-Luc Mélenchon allait forcément devenir Premier ministre en cas de victoire du NFP, où il ne fallait pas voter pour François Hollande au risque, sinon, de voir des chars soviétiques nous envahir. Dans ce monde parallèle, où les invectives ont valeur de faits et où les mensonges ont valeur de vérité, le programme économique du NFP s’est vu assimilé à celui du RN, tous deux étant jugés “irréalistes”, “non crédibles”, ou même “dangereux” car menant, à coup sûr, “à la ruine de la France”. Et que dire de la séquence Cazeneuve et de tous ces commentateur-trices, jetant opprobre sur le PS, le jugeant comme seul responsable de sa non nomination ? Que dire de cela sachant que l’on le sait à présent que Macron s’était donné pour mission d’empêcher coûte que coûte la gauche de gouverner ?

Si j’étais Donald Trump, Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon, je crierais sans doute au complot. Je n’en ferai rien. Car, comme diraient Scully et Mulder, “la vérité est ailleurs”. Et cette vérité réside probablement dans cette phrase, sortie de la bouche d’une seconde chroniqueuse, présente elle aussi sur le plateau de France Info: “Les prochains mois vont être amusants”, a-t-elle estimé au sujet d’un éventuel renversement du gouvernement Barnier, prédisant que les prochains mois allaient ressembler à s’y méprendre à la catastrophique séquence politico-médiatique de cet été. Amusant ? Comme la “grenade dégoupillée” que Macron a balancée entre les jambes, non seulement de ses adversaires politiques, mais, aussi et surtout, de tout le peuple français qui, par le fait d’une pulsion égotique de son Président, a failli être jeté dans les bras du Rassemblement National ? Amusant ? Comme la menace d’1 présidentielle anticipée, que JLM appelle de ses voeux, sûr d’accéder au 2e tour & de battre MLP, alors que sa côte de popularité est si basse qu’il faudrait l’appeler côte d’impopularité et que sa candidature représente le meilleur moyen pour le RN d’accéder au pouvoir ? Comme l’entêtement de la Macronie à vouloir sauver une politique dont le bilan se résume à un déficit abyssale dans les finances du pays, à un appauvrissement inédit et dramatique des classes populaires et moyennes, et à un enrichissement sans précédent des 500 plus grosses fortunes de France ? Comme le fait que le parti présidentiel ait nommé à Matignon un parti ayant recueilli 5% des voix, l’obligeant à gouverner avec l’extrême droite et, de fait, à nommer des Ministres dont l’idéologie n’a rien à envoyer à celle d’un de Villiers ou d’un Zemmour ?

Pourquoi encourager, au détriment de la vérité, des propos outranciers et mensongers qui peuvent mener notre démocratie à sa perte ? Pourquoi faire de X une source privilégiée d’information ? Pourquoi capter, sur ce réseau en perdition des “tendances” qui ne sont plus que le reflet des idées de Musk ? Les journalistes rêvent-ils d’une victoire du RN aux prochaines élections ? Ressentent-ils une joie malsaine lorsqu’ils annoncent des catastrophes, tels des présentateur-trices météo qui, coincé-es à Paris en août, peinent à cacher leur joie en annonçant un temps pourri qui va gâcher nos vacances ?

Outre le poids non négligeable de l’envie de créer du buzz et donc de l’audience, sont-ce des psychopathes ? Ou sont-ils simplement devenus accro à l’inattendu, au bizarre, au grotesque ? Étant optimiste et considérant que la 1ère option est statistiquement très peu probable, j’opte pour la seconde. En 2007, un médecin expliquait sur le plateau d’Arrêt sur images la fascination qu’avaient eu les gens de voir s’échouer des petits gateaux mazoutés sur une plage bretonne : notre cerveau serait, disait-il, très friand des surprises, d’autant plus quand elles sont absurdes. Il me semble assez évident que tous les utilisateur-trices régulièr-es de X souffrent de cette dépendance à l’inattendu et à la libération de dopamine qui en résulte, les incitant toujours plus à rechercher cet inattendu et, in fine… à la créer eux-même, dût-il provoquer une crise politique sans précédent.

Il est urgent que cette dépendance cesse, au risque, sinon, de voir notre pays entièrement basculer dans le populisme le plus crasse et, par là même, de voir le RN accéder au pouvoir…sachant les failles démocratiques de notre constitution qui ont été mises au jour cet été. S’il est nécessaire de garder un oeil dessus (ne faisons pas la même erreur que la Roumanie), cessons de nous informer sur X avant qu’il ne soit trop tard !

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