Certaines informations demandent du travail.
Il faut lire, il faut comprendre, il faut prendre le temps.
Et quand on est journaliste, éditorialiste, chroniqueur, bref, quand on prétend parler à un public, la moindre des choses, c’est de se renseigner avant d’ouvrir la bouche.
Pas pour briller, pas pour étaler son ego. Simplement pour ne pas dire n’importe quoi.
L’affaire Sarkozy est l’exemple parfait de ce que beaucoup, aujourd’hui, ne sont plus capables, ou ne veulent plus, faire : informer.
Sur les plateaux télé, on a entendu tout et n’importe quoi. On fait des « débats » comme on refait le monde au café du coin, sauf que là, ce n’est pas trois bières, ce sont des millions de spectateurs.
Des gens qui n’ont pas lu une ligne du jugement. Pas un extrait. Pas un fait. Mais qui savent. Qui tranchent. Qui assènent.
Et ce sont eux qu’on invite.
Pas les journalistes qui étaient dans la salle d’audience, ils étaient peu, oui, et que la presse écrite.
Mais sur les chaînes d’infos, on préfère les auto-proclamés experts qui parlent fort et pensent creux.
Résultat, on a entendu :
« Il n’y a pas de preuves. »
« Il n’y a pas de pacte corruptif. »
« Il n’y a pas d’argent. »
What. The. F*ck.
Il suffit de lire le jugement.
Ce n’est pas un manuscrit perdu au fond de l’océan écrit en sanskrit.
Tout est dedans, noir sur blanc.
Les faits. Les vrais.
Un pacte de corruption a été conclu entre Nicolas Sarkozy et le régime libyen.
Objectif ? Financer illégalement la campagne de 2007.
Une contrepartie ?
Tenter de blanchir Abdallah Senoussi, numéro 2 du régime libyen, condamné en France à la réclusion criminelle à perpétuité pour l’attentat contre le vol UTA DC-10 (170 morts dont 54 Français).
Sarkozy, Guéant, Hortefeux : reconnus coupables d’association de malfaiteurs.
Les preuves ?
- Réunion à l’Élysée prouvée
- Intermédiaires identifiés.
- Circuits financiers tracés.
- 6 millions d’euros dont l’origine et les destinataires sont connus.
Ce n’est pas une théorie.
C’est un jugement.
Petit rappel de droit
Pour qu’une infraction existe, il faut :
- Un texte (élément légal) : OK.
- Des actes (élément matériel) : OK.
- Une intention (élément moral) : OK.
Le tribunal dit clairement :
« L’association de malfaiteurs est une infraction d’anticipation : il n’est pas nécessaire que les actes aient abouti pour qu’elle soit punissable. »
Sur Sarkozy directement :
« Il ne pouvait ignorer la nature et l’origine des fonds, étant bénéficiaire direct de la manœuvre. »
Fin du débat.
Fin des débats de comptoir.
Les grandes oubliées : les victimes.
Les familles des 170 morts du vol UTA.
Parties civiles au procès.
Et pourtant :
Pas un mot de Sarkozy.
Pas un mot de Guéant.
Pas un mot d’Hortefeux.
Pas un mot du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, pourtant grand champion autoproclamé de la « politique pénale centrée sur les victimes ».
Et sur les plateaux ?
Silence.
Nada.
Rien.
Mais pour savoir si Sarkozy a mangé un yaourt à l’isolement ?
Là, il y a du monde.
Le dossier est vide ?
Alors deux possibilités :
- Soit toutes ces personnes mentent sciemment pour protéger Nicolas Sarkozy.
Ce qui pose une question politique majeure. - Soit elles ne comprennent rien.
Ce qui pose une autre question :
Pourquoi sont-elles invitées à parler ?
Dans les deux cas :
C’est une faillite.
Une indignité.
Une trahison de ce que devrait être le journalisme, la justice, et la responsabilité publique.
Alors oui, je suis en colère.
Parce que là, ce n’est pas seulement une histoire de politique, d’ego ou de “débat d’opinion”.
C’est une histoire de 170 vies brisées, de familles qui attendent depuis 35 ans que la justice soit respectée, pas piétinée en direct par des commentateurs de salon.
Et pendant ce temps, des éditocrates trop paresseux pour lire un jugement viennent expliquer qu’« on ne sait pas vraiment », qu’« il n’y a pas de preuve », qu’« on peut discuter ».
Non.
On ne discute pas d’un attentat.
On ne discute pas d’une corruption d’État.
On ne discute pas du prix du sang.
Ce n’est pas de l’ignorance, c’est de la complicité par confort.
Qu’on soit clair :
Si un ancien président de la République a pactisé avec un État terroriste, si des ministres ont tenté d’épargner un criminel international responsable de 170 morts, rien ne justifie l’indulgence, la banalisation, la minimisation.
Alors on arrête.
On arrête les débats fumeux, les plateaux où l’on s’écoute parler, les pirouettes pour sauver l’entre-soi des puissants.
On lit.
On comprend.
On nomme.
Parce qu’à force d’abandonner l’exigence,
c’est la démocratie que l’on abandonne.
Pour aller plus loin
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