Imaginez un candidat qui surgit comme une évidence, jeune, élégant, promettant de liquider les vieux clivages. Un homme qui parle de « révolution », de « mouvement perpétuel », de « refondation ». Un discours si bien rodé qu’il en devient insaisissable, une musique dans laquelle chaque auditeur entend ce qu’il veut. En 2017, Emmanuel Macron incarne cette promesse : ni de gauche ni de droite, mais « en même temps » les deux.
Retour sur une ascension fulgurante, une campagne éclair qui a séduit la France… avant de la fracturer durablement.
2016-2017 : l’illusion du renouveau
Quand Emmanuel Macron lance « En marche ! » en avril 2016, les rires fusent. Une « comète », un « feu de paille », un « coup de poker » : les observateurs politiques ne donnent pas cher de sa peau. Pourtant, en quelques mois, ce ministre de l’Économie sans parti, sans machine militante traditionnelle, s’impose comme le favori. Son arme ? Un discours savamment flou, une « rhétorique du processus » comme l’analyse Damon Mayaffre : des mots qui offrent l’illusion de l’action sans jamais préciser le cap. « Changer », « transformer », « refonder », « renouveler », des verbes en « re- » qui suggèrent une rupture, sans jamais dire avec quoi, ni pour qui. Le nom même de son parti, « En marche ! », est un génie marketing : il évoque le mouvement, l’énergie, mais pas la destination.
Macron mise tout sur l’image de l’outsider moderne, en rupture avec les partis traditionnels. Il se présente comme l’héritier de Michel Rocard, mais aussi comme un admirateur de l’innovation à l’américaine, un « disrupteur » prêt à bousculer l’ordre établi. Il séduit les médias, qui le décrivent comme un « énarque pétri de philosophie », un « flibustier » prêt à tout balayer. Son livre-programme, Révolution, publié en novembre 2016, est un chef-d’œuvre d’ambiguïté : il y parle de « justice sociale », mais aussi de « flexibilité », de « compétitivité », de « désengorgement des tribunaux ». Il promet une « écologie pragmatique », sans jamais remettre en cause les fondements d’un système économique qu’il a servi comme banquier chez Rothschild, puis comme ministre de François Hollande. Le discours est progressiste dans la forme, libéral dans le fond.
Et ça marche… En 2017, une France lasse des affaires Fillon et du discrédit d’un quinquennat raté à gauche se laisse séduire. Macron arrive en tête du premier tour, devant Marine Le Pen. Les médias, fascinés, amplifient son image de sauveur. Le piège se referme : le candidat du « ni-ni » devient le président du « et-et ». Très vite, le « et » penchera d’un seul côté.
2017-2025 : la gauche, une esthétique ; la droite, une pratique
En 2017, le candidat Macron se présente comme le président du renouveau, promettant de dépasser les clivages pour réconcilier la France, mais dès son arrivée au pouvoir, le masque tombe : les réformes qu’il met en place (suppression de l’ISF, ordonnances travail, flexibilisation du marché du travail) révèlent un libéralisme économique brutal, bénéficiant aux classes dominantes, aux retraités aisés et aux cadres supérieurs, tandis que les ouvriers, les employés et les jeunes, initialement séduits par son discours de « rassemblement », découvrent qu’ils ont été trompés. Malgré la colère sociale, Macron maintient le cap, confirmant que son projet n’a jamais été de réconcilier, mais de démanteler les protections sociales au profit d’une élite.
Pourtant, le président Macron continue de jouer sur les mots. Ses phrases sont longues, ses références philosophiques, ses promesses floues. Il parle de « solidarité », mais aussi de « responsabilité individuelle ». Il évoque la « justice sociale », tout en réduisant les APL et en gelant le point d’indice des fonctionnaires. Son « en même temps » devient une arme rhétorique pour justifier l’injustice. Quand les gilets jaunes se soulèvent en 2018, il leur répond par le mépris, les traitant de « fainéants » ou de « casseurs ». Derrière le discours modernisateur, toujours le conservatisme brutal. Une étude de ses discours avec des outils d’intelligence artificielle révèle une « inclinaison réactionnaire ». Son utilisation massive des mots en « re- » (refonder, restaurer, réformer), suggère un regard tourné vers le passé. Son progressisme n’est qu’une façade, le cache-sexe d’un libéralisme autoritaire, où l’État intervient pour casser les protections sociales, mais jamais pour les renforcer. Son objectif, c’est la mise à mort de l’État providence.
Réélu en 2022 face à Marine Le Pen grâce au barrage républicain et à la peur de l’extrême droite, il déclare, en s’adressant au Françaises et Français, « ce vote m’oblige », laissant croire à une reconnaissance des attentes populaires. Pourtant, dès les semaines suivantes, il accélère dans la voie d’un libéralisme autoritaire : la réforme des retraites, adoptée en 2023 sans vote à l’Assemblée grâce au 49.3, et la loi immigration, votée en 2024 avec les voix du RN, marquent un tournant sécuritaire et une normalisation de l’extrême droite dans le jeu institutionnel. En juin 2024, face à la poussée historique du RN aux européennes, Macron « dégoupille sa grenade » et dissout l’Assemblée Nationale, plongeant le pays dans une crise politique sans précédent.
À l’issue des législatives anticipées (et après une trêve olympique lunaire), Emmanuel Macron ira jusqu’à refuser la légitimité du NFP à tenter de gouverner une France tri-polarisée, ses députés auront pourtant largement profité du désistement de la gauche dans le cadre du barrage républicain. Ainsi, le «ni-ni» macroniste affiche irrévocablement son vrai visage : celui d’un libéralisme dur, assumé, qui n’hésite plus à s’allier avec la droite identitaire et l’extrême droite pour survivre, tout en continuant à gouverner contre l’avis du peuple.
En 2025, la France d’Emmanuel Macron est un pays où les inégalités ont explosé, où la dette publique a atteint 112 % du PIB (en partie à cause des cadeaux fiscaux aux entreprises et aux plus aisés), et où les services publics sont en lambeaux.
Pire : dans la rue, la répression policière s’est durcie comme jamais. Le Conseil de l’Europe a même dénoncé un « usage excessif de la force » en France, tandis que des journalistes sont régulièrement gazés, matraqués ou empêchés de couvrir les manifestations. Pendant ce temps, les associations qui aident les plus précaires s’effondrent : en 2025, 45 % d’entre elles déclarent une baisse drastique de leurs subventions, 69 % des associations employeuses n’ont plus de fonds propres, et 856 structures ont été placées en liquidation judiciaire. Les secteurs sociaux, sanitaires et culturels, déjà fragilisés, suppriment des postes, augmentent leurs tarifs de 30 %, ou ferment purement et simplement, laissant des milliers de familles sans soutien.
Macron a réussi là où ses prédécesseurs avaient échoué : faire accepter à la France une politique de droite radicale sous couvert de modernité, tout en écrasant la contestation sociale par la violence d’État et en asphyxiant les derniers remparts de la solidarité. Le « en même temps » n’était qu’un leurre. La réalité, c’est un pays où les plus riches s’enrichissent, où les plus pauvres sont abandonnés, où la police matraque, et où la démocratie s’étiole… le tout sous les applaudissements d’une élite qui, elle, n’a jamais eu aussi peu à craindre.
Emmanuel Macron aura marqué l’histoire politique française par un paradoxe : celui d’un président élu sur la promesse de réconcilier les Français, mais dont le bilan aura creusé les fractures comme aucun autre. Son « en même temps » n’aura été qu’une formule magique jouant sur le biais de confirmation afin de faire accepter l’inacceptable.
En 2032, Emmanuel Macron aura 55 ans et pourra donc se représenter. Après des années de politiques qui ont plongé la France dans une crise sociale, économique et démocratique au seul profit des élites et des puissants, une question persiste : le peuple français, qui, si la menace RN se concrétise en 2027, aura peut-être d’ici là survécu à 5 années plus sombres encore, aura-t-il tiré les leçons de cette période ?
Pour aller plus loin :
Damon Mayaffre, Macron ou le mystère du verbe (2021)
Analyse des discours de Macron par l’IA (La Tribune, 2024)
Bilan écologique du quinquennat (Greenpeace, 2022)
Réforme des retraites et inégalités (INSEE, 2023)
Évolution du nombre de milliardaires (Forbes, 2025)
Dissolution de l’Assemblée nationale (Le Devoir, 2024)
Campagne éclair de 2016-2017 (Toute l’Europe, 2017)
Analyse du « en même temps » (Revue Politique et Parlementaire)