Les pionnièr-es du NFP, un an après

Il y a un peu plus d’un an, le 10 juin 2024, une poignée d’élus de gauche lançaient une pétition en ligne pour appeler à l’union des forces progressistes face à la montée de l’extrême droite et à la dissolution de l’Assemblée nationale. Parmi eux, des figures moins connues du grand public, mais déterminantes dans la création du Nouveau Front Populaire (NFP). Aujourd’hui, où en sont ces premiers signataires, porteurs d’un espoir de rassemblement qui a marqué les législatives de 2024 ?

François Ruffin (LFI) : l’initiateur incontournable

François Ruffin, député de la Somme et figure médiatique de La France insoumise, a été l’un des principaux artisans de l’appel à un « Front populaire » moderne. Son rôle dans la mobilisation des partis de gauche, du Parti communiste au Parti socialiste en passant par les Écologistes, a été central. Après les législatives de 2024, où le NFP est arrivé en tête sans majorité absolue, Ruffin a continué à jouer un rôle clé dans les débats parlementaires, notamment sur les questions sociales et écologiques. Cependant, les tensions internes à la gauche, notamment entre LFI et le PS, ont récemment mis à mal l’unité du NFP.

En octobre 2024, Ruffin a marqué une rupture symbolique avec une partie de LFI en quittant le groupe parlementaire pour rejoindre les bancs des Écologistes, dénonçant une « purge » interne et un « sectarisme » croissant au sein de son ancien parti. Cette décision, prise après des mois de tensions avec la direction de LFI, illustre les fractures profondes qui traversent la gauche radicale. Ruffin a expliqué vouloir « continuer à porter un projet de gauche rassembleur », loin des « querelles stériles » et des « exclusions » qui, selon lui, affaiblissent le camp progressiste. Malgré cette scission, il reste un acteur influent à l’Assemblée, tentant de maintenir un dialogue entre les différentes composantes de la gauche, tout en critiquant ouvertement les divisions qui fragilisent la coalition.

Son départ a suscité des réactions contrastées : certains y voient une trahison, d’autres une opportunité de renouveler le débat politique à gauche.

Sébastien Jumel (PCF) : l’ancrage local et parlementaire

Sébastien Jumel, maire du Tréport et député de Seine-Maritime, incarne la continuité du Parti communiste dans le NFP. Réélu en 2024, il reste un acteur important du groupe Gauche Démocrate et Républicaine (GDR) à l’Assemblée nationale. Son engagement pour les questions sociales et maritimes, ainsi que son ancrage territorial, en font une voix respectée au sein de la coalition. Malgré les turbulences politiques, Jumel continue de défendre les valeurs du PCF, tout en appelant à l’unité de la gauche pour éviter une nouvelle dissolution.

Marie-Charlotte Garin (EELV) : la fusée écologiste

À seulement 29 ans, Marie-Charlotte Garin, députée du Rhône, est l’une des figures montantes des Écologistes. Réélue dès le premier tour en 2024, elle siège au groupe Écologiste et Social (ECOS) et s’impose comme une porte-parole dynamique sur les enjeux climatiques et sociaux. Son ascension fulgurante et son engagement sans compromis en font une personnalité à suivre, alors que les Écologistes tentent de peser dans les débats nationaux, malgré les dissensions au sein du NFP.

Sébastien Peytavie (Génération·s) : le combat pour l’inclusion

Sébastien Peytavie, député de Dordogne et premier élu en fauteuil roulant à l’Assemblée nationale, a marqué les esprits par son engagement pour les droits des personnes en situation de handicap et la justice sociale. Membre de Génération·s, il a été réélu en 2024 sous la bannière du NFP. Depuis, il multiplie les initiatives législatives, comme sa proposition de loi pour une gestion plus juste des déchets, tout en dénonçant les menaces qui pèsent sur la cohésion de la gauche. Son parcours inspire, mais il doit aussi composer avec les réalités d’une coalition fragilisée.

Sophie Taillé-Polian (EELV/Génération·s) : l’écologie au cœur de l’action

Ancienne sénatrice devenue députée du Val-de-Marne, Sophie Taillé-Polian est une voix influente des Écologistes. Rattachée financièrement à EELV, elle se revendique aussi de Génération·s, illustrant la porosité entre les mouvements de gauche. Son travail parlementaire se concentre sur les questions culturelles, éducatives et écologiques. Elle incarne l’espoir d’une gauche unie, mais doit naviguer entre les aspirations écologistes et les réalités politiques d’un NFP en crise.

Nicolas Sansu (PCF) : le maire et député résistant

Nicolas Sansu, maire de Vierzon et député du Cher, est un pilier du PCF au sein du NFP. Réélu en 2024, il continue de défendre les valeurs communistes, tout en critiquant les dérives qu’il observe au sein de son propre parti et de la coalition. Son ancrage local et son expérience parlementaire en font un acteur clé pour maintenir le lien entre les territoires et les institutions.

Damien Maudet (LFI) : la jeunesse insoumise

À 27 ans, Damien Maudet est l’un des plus jeunes députés de l’Assemblée. Réélu en Haute-Vienne sous l’étiquette LFI-NFP, il incarne une nouvelle génération de militants déterminés à transformer la société. Proche de François Ruffin, il défend une ligne sociale radicale et appelle à la mobilisation pour éviter une nouvelle dissolution. Son énergie et son engagement en font une figure prometteuse, mais aussi une cible pour les critiques de la droite et de l’extrême droite.

Karine Lebon (Pour la Réunion) : l’engagement ultramarin

Karine Lebon, députée de La Réunion, est la seule signataire issue d’un parti régional, Pour la Réunion (PLR). Réélue en 2024, elle siège au groupe GDR et défend les spécificités des outre-mer, souvent oubliées dans les débats nationaux. Son combat pour la justice sociale et environnementale dans son île natale reste une priorité, même si les tensions au sein du NFP compliquent parfois son action.

Emeline K/Bidi (Progrès-974) : la voix des outre-mer

Emeline K/Bidi, députée de la 4ème circonscription de La Réunion, est une avocate engagée pour les droits des ultramarins. Membre de Progrès-974, elle a été réélue en 2024 avec un score impressionnant. Son travail parlementaire se concentre sur les inégalités sociales et la reconnaissance des territoires d’outre-mer. Comme Karine Lebon, elle rappelle l’importance de ne pas oublier les réalités des départements et régions d’outre-mer dans les débats nationaux.

Leïla Chaibi (LFI) : l’engagement internationaliste

Leïla Chaibi, députée des Français de l’étranger, est une figure de la gauche radicale et internationaliste. Son engagement pour les droits des migrants et contre les injustices sociales reste intact, même si les divisions au sein du NFP rendent son action plus difficile. Elle continue de porter une voix critique au sein de LFI, tout en appelant à l’unité de la gauche

Et ensuite ? 

La suite, on la connaît. La pétition va recueillir plusieurs centaines de milliers de signatures en quelques heures à peine après sa rédaction, témoignant d’un élan populaire inédit. Les partis signataires — LFI, PCF, EELV, PS, Place publique, Génération·s et d’autres mouvements de gauche — se sont alors réunis dans l’urgence pour transformer cet appel en une alliance électorale concrète. Les négociations, parfois houleuses, ont abouti à un accord historique : des candidatures uniques dans chaque circonscription, un programme commun ambitieux, et une volonté affichée de barrer la route à l’extrême droite. Malgré les tensions et les divergences de fond, notamment à l’international, l’unité a prévalu, portée par la conviction que seul un front large pouvait contrer la menace du Rassemblement national et de la majorité présidentielle.

L’annonce du programme : un coup de théâtre politique

Le programme du Nouveau Front Populaire a été dévoilé le 14 juin 2024, lors d’une conférence de presse commune des leaders des partis signataires — Olivier Faure (PS), Marine Tondelier (EELV), Fabien Roussel (PCF) et Manuel Bompard (représentant LFI en l’absence de Jean-Luc Mélenchon). Présenté comme un « contrat de législature » engageant les futurs députés, il a été annoncé comme définitif pour la campagne, mais avec une marge de manœuvre pour des ajustements après les élections, en fonction des rapports de force à l’Assemblée. Les médias ont souligné son caractère à la fois ambitieux et fragile : un compromis politique né de l’urgence, mais aussi un pari risqué.

L’annonce a été accompagnée d’une stratégie de communication offensive, avec des meetings communs et une mobilisation massive sur les réseaux sociaux pour en faire un symbole de l’union de la gauche. Pourtant, dès sa publication, des voix critiques — y compris au sein du NFP — ont pointé des manques de précision et des désaccords persistants, rappelant que ce texte était avant tout un outil électoral, plus qu’un plan gouvernemental figé.

Un programme « vivant » ? 

Nous l’avons dit plus haut, le programme n’était pas définitif et ses rédacteurs ont toujours admis qu’il pourrait évoluer selon les négociations post-électorales. Une ambiguïté assumée : l’objectif était d’abord de fédérer les électeurs, quitte à affiner les détails plus tard. Une approche pragmatique, mais qui a aussi nourri les suspicions sur la solidité de l’alliance.

Un bilan en demi-teinte, un avenir incertain 

Un an après sa naissance dans l’urgence, le Nouveau Front Populaire a démontré que, même négociée sous la contrainte, une trajectoire commune était possible à gauche, capable de fédérer des millions d’électeurs et de contrer la poussée de l’extrême droite. Pourtant, l’union reste précaire : les divisions entre LFI et le PS, les divergences stratégiques et les egos politiques ont rapidement repris le dessus, érodant la dynamique de 2024. Les premiers signataires, malgré leur engagement, peinent aujourd’hui à maintenir la cohésion d’une coalition née dans l’urgence électorale.

Le NFP a marqué l’histoire politique récente, mais son héritage dépendra désormais de sa capacité à dépasser les clivages. Une chose est certaine : l’expérience a montré que la gauche peut gagner ensemble… à condition d’accepter de partager le pouvoir. L’enjeu, désormais, est de transformer l’essai — ou de risquer de répéter les erreurs du passé.

Auteur-ice

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