Le 16 mars 2023, en pleine crise européenne de l’agriculture, un nouveau parti, le BBB (Mouvement citoyen-paysan), remportait avec 20 % des voix les élections sénatoriales aux Pays-Bas. Quelques mois plus tard, en novembre, c’est l’extrême droite de Geert Wilders qui gagnait les élections législatives.
Pour qui suit la vie politique néerlandaise, c’est une habitude d’assister, à chaque scrutin, à l’émergence d’un parti créant la surprise. Pour ces nouvelles élections législatives, qui se tiendront ce 29 octobre suite à la démission du gouvernement, la grande surprise pourrait être l’historique parti libéral D66 et son leader charismatique, Rob Jetten.
Un Favori Inattendu
Pourtant, il y a encore quelques semaines, rien n’annonçait que Rob Jetten pourrait être le grand favori pour devenir le prochain Premier ministre des Pays-Bas. Geert Wilders, le leader de l’extrême droite, était alors largement en tête, mais ne pouvait prétendre au poste, la majorité des partis refusant de le soutenir. Le grand favori était donc, depuis des mois, Henri Bontenbal, le leader de la droite chrétienne et démocrate néerlandaise. En recentrant son parti notamment sur les questions de société et d’écologie, ce dernier était parvenu à ressusciter la vieille droite traditionnelle néerlandaise, qui ne faisait plus que des scores avoisinant les 5 % depuis des années.
Mais aux Pays-Bas, les campagnes électorales sont longues, les erreurs des candidats sont nombreuses et les électeurs sont volatiles. Geert Wilders a enchaîné les saillies racistes et les provocations. Franck Timmermans, le leader de l’alliance entre les socialistes et les Verts, a eu du mal à prouver qu’il pouvait apporter quelque chose de nouveau, lui qui occupe des postes importants dans la politique néerlandaise depuis des années. Quant au favori, Henri Bontenbal, il a multiplié les gaffes et a peiné à se défendre face aux attaques de ses concurrents.
C’est ainsi que, depuis quelques jours, Rob Jetten, 39 ans, dont l’unique mission était de redresser le parti libéral D66 (qui avait perdu 10 % de ses électeurs aux dernières élections législatives et européennes), est devenu, à la veille du scrutin, le grand favori pour remporter potentiellement les élections, mais surtout pour devenir Premier ministre.
Mais qui est Rob Jetten ?
Membre du parti libéral D66 depuis sa jeunesse, il a été l’ancien président du mouvement des jeunes de son parti. Il s’est d’abord investi en tant que conseiller municipal de sa ville de Nimègue, avant d’être élu au Parlement néerlandais en 2017. En 2018, il est devenu à l’unanimité le plus jeune chef de groupe parlementaire de l’histoire des Pays-Bas. Ministre du Climat et de l’Énergie au sein du gouvernement de Mark Rutte en 2023, il a notamment assisté à la Conférence sur le climat de Dubaï, où il a annoncé le 9 décembre la formation, à l’initiative des Pays-Bas, d’une coalition de douze pays pour œuvrer à l’élimination progressive des subventions aux énergies fossiles. Le 12 août 2023, il est devenu le leader de son parti D66. S’il n’a pu que freiner le déclin de son parti lors des élections législatives, il est devenu brièvement ministre sous le gouvernement de coalition qui attendait que les partis vainqueurs s’accordent sur la composition et le programme d’un nouveau gouvernement. Fait notable : il avait alors refusé de rejoindre un gouvernement incluant l’extrême droite. Dans sa vie privée, il assume totalement son homosexualité et sa relation avec une star argentine du hockey sur gazon.
Pourquoi Rob Jetten est-il désormais le grand favori ?
Lors des dernières semaines, de nombreux débats télévisés et sur les réseaux sociaux ont eu lieu entre les leaders des partis. À chaque fois, Rob Jetten a été noté par les téléspectateurs comme le meilleur ou l’un des meilleurs. Ses adversaires multipliant les erreurs, il est parvenu à imposer ses idées.
- Un discours apprécié : Son discours politique, axé sur la collaboration entre les citoyens et l’État et tourné vers l’avenir, avec la devise « C’est possible » (« Het kan wél« ), est apprécié par de nombreux électeurs après plusieurs années où les gouvernements semblent avoir échoué.
- Les positions du D66 : Le D66 s’engage sur des sujets tels que l’égalité des chances pour tous (investissements dans l’éducation), les réformes démocratiques, une relance du Pacte vert européen, et sont des défenseurs déclarés de la coopération européenne et internationale. Un de ses grands projets qui lui tient à cœur est de construire dix nouvelles villes pour régler la crise massive du logement aux Pays-Bas.
- Une présence remarquée sur TikTok : Contrairement aux autres leaders des partis, il est extrêmement actif sur TikTok, se mettant en avant comme proche de ses électeurs et en suivant les codes et les tendances du réseau social.
- Le rapprochement sur l’immigration : La première raison de son succès est qu’il réussit à toucher des électeurs libéraux qui, ces dernières années, avaient été tentés par l’extrême droite. Auparavant, son parti, le D66, était plutôt connu comme favorable à l’immigration et ne souhaitant pas suivre les partis d’extrême droite sur ce sujet. Rob Jetten a, lui, lancé un grand débat au sein de son parti et n’hésite pas à défendre des politiques de restrictions de l’immigration et des demandes d’asile, souhaitant également réduire les aides pour les migrants. Il tient également un discours nationaliste fort, n’hésitant pas à se montrer avec le drapeau néerlandais.
L’avenir et les risques
Si sur de nombreux points il a rejoint la majorité des idées de l’extrême droite sur l’immigration et la politique d’asile, il affirme refuser de gouverner avec l’ensemble des formations d’extrême droite néerlandaises. Il estime que ces partis sont loin des ambitions climatiques et d’éducation qu’il souhaite porter dans un futur gouvernement, mais aussi car il ne souhaite pas siéger avec des hommes ou des femmes politiques dont les insultes homophobes, racistes et les provocations politiques sont légion. Il est également un fervent Européen et souhaite, contrairement à plusieurs partis néerlandais, remettre l’Europe au centre des préoccupations de son pays, notamment pour la défense des acquis de la dernière mandature européenne comme le pacte de vigilance ou le Pacte vert. Il est également un grand partisan du rapport Draghi.
À la veille des élections, son parti est, selon les sondages, soit en première soit en deuxième position. S’il est annoncé comme le grand favori pour mener une future coalition gouvernementale, la route est encore longue.
Sûrement plein de confiance suite à son excellente dynamique, il a commis une erreur en tenant des propos misogynes sur la princesse royale des Pays-Bas lundi soir lors d’un débat. Une erreur qui pourrait lui faire perdre des voix précieuses aujourd’hui lors du vote. Si jamais il s’impose lors des élections, il faudra ensuite former une coalition et un programme de gouvernement avec plusieurs partis, et cela ne sera pas une mince affaire. Il devra peut-être alors, dans l’intérêt de son parti et de ses idées politiques, renoncer au poste de Premier ministre.
Quoi qu’il en soit, le succès de ces dernières semaines montre à quel point un jeune leader charismatique, fort sur les réseaux sociaux, peut rapidement s’imposer dans le paysage politique d’un pays. Par plusieurs aspects, l’éclosion de Rob Jetten nous rappelle les succès de ces dernières années d’autres jeunes politiques libéraux comme Emmanuel Macron, Justin Trudeau ou Tony Blair.
Sources :
Jetten (D66): ‘Ik zal VVD en CDA dan weer een opfriscursus geven’ | nu.nl
D66 – Rob Jetten: ‘Het echte Nederland is van de positieve krachten’
RobJetten (@robjettend66) | TikTok
