Comment s’y retrouver dans la galaxie des gauches françaises ? En regardant ce qu’elles proposent, et non ce qu’elles s’accusent mutuellement d’être. Économie, écologie, droits humains, géopolitique : une boussole pour comprendre, au lieu de subir le vacarme.
“Social-traitres”, “gauche de droite”. “Islamogauchistes”, “extrême gauche”.
Entre invectives intra-gauche et calmonies populistes de droite, il est devenu compliqué, si ce n’est impossible, de placer correctement les partis de gauche sur l’échiquier politique et, par là-même, de se faire une idée quant à leur ligne réelle et donc, quant à la vision qu’ils ont de la France et de son avenir.
À qui la faute ? Aux politiques, dans un premier temps. Notamment aux cadres et élu-es de la France Insoumise qui se sont donné pour mission d’éliminer toute concurrence à gauche, quoi qu’il en coûte. Quitte à mentir sur les idées et mesures proposées par ladite concurrence, quitte (même !) à l’accuser de faits condamnables voire de délits inexistants.
Mais si LFI joue un rôle majeur dans le délitement du discours politique et l’avènement de la post-vérité au service d’ambitions électorales personnelles, le parti de Jean-luc Mélenchon n’en est aucunement le seul responsable. Car avec ses mensonges et son girouettisme opportuniste perpétuels, la Macronie se révèle le principal architecte d’un tripartisme stratégique visant, justement, à écarter les partis dits de gouvernement au profit des populismes afin de s’ériger en seule et unique “voix de la raison”. Un tripartisme qui se délite, en direct et sous nos yeux ébahis, le “centre” étant, ni plus ni moins, en train de se disloquer à la suite de la série de gestes fous et irresponsables dont Emmanuel Macron se rend coupable depuis qu’il a balancé, en juin 2024, sa “grenade dégoupillée” entre les jambes des partis d’opposition et, surtout, à la figure d’une France et de Français-es, déjà malmené-es comme jamais (au profit de quelques ultra privilégié-es) depuis son accession au pouvoir en 2017.
Qu’elles émanent de la droite (centre inclus) ou de la gauche, les intox électoralistes abîment d’autant plus le débat public qu’elles sont relayées sans prise de recul ou contradiction de la part de médias qui font le plus souvent montre d’une flemmardise intellectuelle sans bornes lorsqu’il s’agit de commenter ou d’analyser la situation politique actuelle en France.
Il apparaît de fait plus qu’urgent de faire fi du vacarme ambiant et de se baser sur le fond, autrement dit, sur les idées, pour permettre à chaque électeur-ice de gauche de voter, en connaissance de cause et en conscience, pour le parti qui lui semble correspondre à ses propres valeurs, priorités et préoccupations. Parce qu’il est plus que temps de permettre aux citoyen-nes qui ont le coeur à gauche de voter pour un avenir qui leur fait envie plutôt que contre un futur qui les terrorise (à raison).
Pour ce faire nous avons épluché les documents de fond (manifestes, valeurs, principes fondamentaux, projets et programmes) disponibles sur les sites internets des partis de gauche suivants :
- La France insoumise : principes et programme l’Avenir en Commun
- Le parti socialiste : valeurs et projet (le projet 2027 étant en cours de construction, nous nous sommes basé-es sur celui de 2022)
- Les Écologistes : présentation du mouvement et texte d’orientation 2025
- Place publique : charte des principes fondateurs et Acte 1 de leur “Vision pour la France”
- Génération.s : textes fondateurs et projet de société
- Le PCF : histoire et programme
Nous avons classé les partis, du plus radical au moins radical en matière de défense des valeurs portées traditionnellement par la gauche (humanisme, défense des droits et de l’égalité, défense de la démocratie, protection du vivant et de l’environnement…), selon leur positionnement sur les thématiques clés que sont :
- L’économie
- L’écologie
- Les droits humains, l’égalité entre toutes et tous et lutte contre les discriminations
- La géopolitique : positionnement face aux dictatures impérialistes étrangères
I – Économie
(du plus étatiste/interventionniste au plus « marché régulé »)
- PCF
- Nationalisations ciblées : banques, énergie, eau, santé, transports, télécoms, armement.
- Création de pôles publics, planification nationale et territoriale.
- Régulation du crédit au service de l’emploi, des services publics et de la transition écologique.
- Objectif : réorienter l’économie sans abolir les marchés.
Résumé : économie dirigée forte.
- LFI
- Garantie d’emploi, retraite à 60 ans, réduction du temps de travail.
- Planification écologique centralisée, avec des obligations légales pour les entreprises.
- Relocalisations industrielles et outil de suivi.
- Mix marché–État, avec l’État en pilote.
Résumé : interventionnisme fort, économie mixte planifiée.
- Génération·s
- Rejet du productivisme, priorité à la gestion collective des ressources.
- Rôle central de l’économie sociale et solidaire et des communs.
- Orientation structurante mais peu d’outils chiffrés dans le texte du projet.
Résumé : post-productivisme coopératif.
- Les Écologistes (EELV)
- Sobriété, sortie progressive du nucléaire, droits de la nature.
- Transformation de l’économie autour des limites planétaires.
- Moins d’outils économiques chiffrés que LFI/PCF.
Résumé : modèle post-croissance, orienté sobriété.
- Place publique
- Réindustrialisation verte, ISF européen, taxation des plus riches et des superprofits.
- Garantie locale de l’emploi, plan d’investissement massif.
- Pas de nationalisations massives et systématiques : régulation et puissance publique stratégique.
Résumé : marché régulé avec État stratège.
- Parti socialiste
- Économie de marché régulée, redistribution, Europe sociale/écologique.
- Régulation des excès plutôt que transformation structurelle.
Résumé : social-démocratie classique.
Classement économie :
II – Écologie
(du plus exigeant au plus graduel)
- Les Écologistes
- Neutralité carbone 2040, sortie progressive du nucléaire.
- Droits de la nature, révision des accords commerciaux.
- Europe fédérale verte.
Résumé : ambition maximale, calendrier avancé.
- LFI
- Planification écologique (lois-cadres, indicateurs biophysiques).
- –65 % d’émissions en 2030, 100 % renouvelables 2050.
- Moratoire sur les projets écocidaires.
Résumé : très forte ambition écologique à moyen terme
- Génération·s
- Fin du productivisme, priorité écologique.
- Principes structurants mais peu d’outils opérationnels dans le texte.
Résumé : ambition forte, cadre moins normé.
- Place publique
- « Révolution écologique et industrielle », souveraineté énergétique européenne.
- Objectifs chiffrés (–90 % en 2040, pour la France comme pour l’UE, neutralité climat en 2050), investissements massifs.
Résumé : transition ambitieuse pilotée par la régulation et l’investissement vert.
- PS
- Transition comme boussole sociale, innovation, gradualisme européen.
Résumé : approche progressive et régulée.
- PCF
- Écologie inscrite dans la planification industrielle et sociale.
- Ambition réelle, mais centrée sur l’appareil productif.
Résumé : visée industrielle, calendrier moins explicite.
Classement écologie :
III – Droits humains / égalités
(du plus explicite et transversal au plus articulé sur le seul axe social / souveraineté)
- Place publique
- Transparence démocratique, participation continue, défense de l’État de droit.
- Féminisme et antiracisme comme axes centraux.
- Démocratie renforcée en France et en Europe
Résumé : les droits humains comme socle structurant.
- PS
- Internationalisme humaniste, égalité et libertés fondamentales.
- Démocratie parlementaire renforcée.
Résumé : droits très centraux, dans une approche institutionnelle.
- Génération·s
- Égalité réelle, laïcité (loi de 1905), position anti-discrimination forte.
- Universalité des droits sociaux.
Résumé : humanisme social.
- Les Écologistes
- Écoféminisme, antiracisme, droits de la nature.
- Europe des droits.
Résumé : droits humains forts, et articulés autour de l’écologie.
- LFI
- Égalité femmes-hommes, droits sociaux étendus, mais dépendance forte à l’axe socio-économique.
Résumé : droits présents mais structurés par le social.
- PCF
- Féminisme, antiracisme, souveraineté populaire.
- Les droits sont articulés autour de la lutte des classes et de la souveraineté.
Résumé : droits inscrits dans une matrice sociale et nationale.
Classement droits humains :
IV – Géopolitique et rapport aux régimes autoritaires et impérialistes
- Place publique
- Défense européenne, grande fermeté envers la Russie et la Chine
- Soutien militaire à l’Ukraine, cybersécurité, lutte contre les ingérences.
Résumé : position la plus ferme et la plus explicite.
- Les Écologistes
- Fédéralisme européen.
- Sanctions et lutte contre la désinformation et le sabotage.
Résumé : position claire et offensive, très pro-UE.
- PS
- Europe de la défense, multilatéralisme réformé.
- Position ferme mais moins que PP (à pondérer : projet de 2022)
Résumé : ligne pro-UE.
- Génération·s
- Internationalisme coopératif.
- Pas de mention directe de la Russie ou de la Chine.
Résumé : valeurs universalistes, position non armée.
- LFI
- Accent sur la souveraineté nationale et la planification.
- Pas de position explicite dans le programme.
Résumé : position indéterminée dans le programme
- PCF
- Condamnation de l’invasion russe.
- Sortie de l’OTAN, diplomatie de non-alignement et de paix.
Résumé : posture « paix et sécurité collective »
Classement géopolitique :
Au global, si l’on fait la moyenne des notes, basées sur la propension des différents partis à défendre et promouvoir, avec plus ou moins de fermeté et de radicalité, les valeurs de gauche sur chacune de ses thématiques clés, il en ressort un classement “gauche/droite” pour le moins contre-intuitif. Surtout pour qui se base sur les seules punchlines postées par les différent-es cadres et élu-es des partis en question sur les réseaux sociaux :
Cette analyse, même si elle est loin d’être parfaite, montre que la réalité se situe bien souvent aux antipodes des opinions érigées en vérités chaque jour sur les plateaux de télévision et dans les colonnes des journaux. Ami-es journalistes et commentateur-ices de la politique française, il est plus que temps de prendre votre courage à deux mains et de bosser sur le fond plutôt que de passer votre temps à courir après la moindre punchline politique. Il en va du libre arbitre des citoyen-nes. Il en va de la démocratie.
Précision méthodologique : Le classement se basant sur les seuls projets et programmes des partis, les différentes prises de paroles des un-e et des autres au sujet, notamment, de la Chine et de la Russie pour ce qui est de l’axe géopolitique, n’ont pas été prises en compte. Les rapports émis dans un cadre parlementaire et autres billets de blog et tribunes n’ont, eux non plus, pas été pris en compte.