Antoine Pinay, Sébastien Lecornu : deux échecs, une même crise de régime

Le moment politique que nous venons de vivre avec Sébastien Lecornu me fait penser à celui d’Antoine Pinay à la fin de la IVe République française.

Si aujourd’hui Antoine Pinay est surtout connu pour avoir été un homme d’État à l’origine de nombreuses réformes économiques sous les IVe et Ve Républiques, notamment la dévaluation du franc après la crise de 1929 et la création du nouveau franc lorsqu’il fut, brièvement, ministre de Charles de Gaulle, il reste aussi célèbre pour avoir été l’un des présidents du Conseil les plus éphémères de la IVe République.

Le 30 septembre 1957, le gouvernement Bourgès-Maunoury (en place depuis le 12 septembre) chute à la suite d’un vote de confiance perdu à l’Assemblée nationale. Maurice Bourgès-Maunoury, radical mais situé à la droite de son parti, occupait une position centriste qu’on pourrait rapprocher, sur certains points, de celle d’un François Bayrou.

Il perd la confiance de l’Assemblée car sa proposition de budget ne convainc ni les députés ni l’opinion publique. On lui reproche notamment d’avoir, sans prévenir, dévalué le franc au mois d’août, alors que de nombreux Français étaient en vacances. Ces dévaluations, déjà fréquentes, étaient très impopulaires car elles entraînent une perte immédiate de pouvoir d’achat — d’autant plus sensible en période de congés.

Le président René Coty se trouve alors face à une impasse : l’Assemblée nationale issue des élections du 19 janvier 1956 est une chambre où aucun parti ne dispose d’une majorité absolue, et où aucun ne souhaite gouverner avec le Parti communiste français, pourtant premier parti de la Chambre. Maurice Bourgès-Maunoury est déjà le second premier ministre qu’il voit se succéder.

Pendant deux semaines, René Coty consulte en vain les responsables politiques. Il finit par penser à son ami Antoine Pinay, membre du Centre national des indépendants et paysans (CNIP), homme de droite respecté et très populaire. Coty espère que sa notoriété et sa stature permettront de stabiliser un gouvernement.

Le 15 octobre 1957, il le charge de former un cabinet. Le soir même, Pinay déclare à la presse qu’il prendra quelques jours pour répondre, affirmant que, s’il accepte, ce sera « pour le salut public » et dans le but de réformer la Constitution.

Le 18 octobre, il accepte et est désigné président du Conseil. Il forme son gouvernement, dans lequel figure le jeune Valéry Giscard d’Estaing aux Finances, et annonce à la presse qu’il le présentera le lendemain à l’Assemblée nationale. Mais dès le lendemain, l’Assemblée nationale refuse de lui accorder l’investiture : juridiquement, selon les dispositions de la Constitution de la IVe République, son gouvernement ne peut donc être considéré comme officiel. René Coty appelle encore trois chefs de gouvernement avant de se tourner, en dernier recours, vers le général de Gaulle, qui mettra fin à la IVe République.

Sources : 

Antoine Pinay », Service des Archives Économiques et Financières (Ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique), URL : https://www.economie.gouv.fr/saef/antoine-pinay

Gilles Le Béguec, « La crise du pouvoir républicain », dans Mai 1958 : La crise du pouvoir républicain, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2019, p. 21-30, en ligne : https://books.openedition.org/pur/109044?lang=fr

Déclaration de Monsieur Pinay », INA Éclairez l’actualité, vidéo INA, [vidéo], URL : https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/caf89036919/declaration-de-monsieur-pinay

Jacques Fauvet, « M. Pinay constitue son gouvernement : Voter l’investiture, dira-t-il, c’est s’engager à adopter les pleins pouvoirs économiques et financiers », Le Monde, 18 octobre 1957, modifié 18 octobre 1957 : https://www.lemonde.fr/archives/article/1957/10/18/m-pinay-constitue-son-gouvernement-voter-l-investiture-dira-t-il-c-est-s-engager-a-adopter-les-pleins-pouvoirs-economiques-et-financiers_3134395_1819218.html