Portiques à l’école, couteaux interdits : des pansements grotesques sur une plaie béante. Le pouvoir refuse de voir que la violence est le fruit de ses propres choix politiques, et que c’est la société tout entière qui craque.
“Installons des portiques de sécurité”. D’accord mais qui les garde ? Et qui protège les personnes qui les gardent ? Et quid des personnes qui protègent les personnes qui protègent les personnes qui les gardent ? C’est vrai que l’IA évolue à vitesse grand V. Mais sommes nous à même de créer des Robocops (Non) ?
“Interdisons les couteaux aux mineurs”. Faut-il aussi leur interdire l’accès à la cuisine familiale, au garage et, même, à la salle-de-bain car quand-même, comme son nom l’indique, un coupe-ongles, ça coupe ? Et à la cantine, on passe la nourriture des élèves au mixeur et on la leur fait boire ?
Faute de permettre à notre gouvernement de se rendre compte que la violence à l’école est un problème de fond, multi-factoriel et, sous beaucoup d’aspects, lié à la politique menée ces dernières années, le drame de Nogent aura encore surtout engendré son lot de propositions téléphonées, hors-sol et complètement à côté de la plaque. Pourtant, la profondeur et l’étendue des causes de cette violence sont criantes. Et ce sont ces causes qu’il convient de traiter si l’on veut que l’école redevienne le sanctuaire qu’elle fut jadis. Il y a, évidemment, la santé mentale des adolescent-e-s, qui est au plus mal. Un mal-être qui, du reste, touche aussi les adultes, toutes générations confondues.
Depuis 2017, ce mal-être généralisé n’a fait que croître. Dans l’indifférence la plus totale de nos dirigeant-es. Les gilets jaunes ? De vilains capricieux. La réforme des retraites ? Les Français-es sont trop bêtes pour comprendre que c’est la solution miracle à tous leurs problèmes. Un-e bon-ne Français-e, ça n’hésite pas à mourir au travail pour la France ! Un-e bon-ne Français-e, ça accepte qu’on fasse des cadeaux aux plus riches à leur dépens, car c’est cela, être responsable ! Un-e bon-ne Français-e, ça comprend que faire les poches des plus démunis réglera tous ses problèmes !
Il y a eu la crise sanitaire aussi. Quand elle a éclaté, elle a donné l’illusion d’un peuple uni dans l’adversité qui (pour preuve !) applaudissait ses soignant-e-s chaque soir à sa fenêtre. Et puis le début de cette crise nous a fait rêver au “monde d’après”. Un monde plus écologique, où l’on respirerait enfin. Un monde où on ne serait enfin plus dépendant d’autres pays pour se soigner. Mais très vite, le confinement, s’il était absolument nécessaire pour juguler l’épidémie sur notre sol, a divisé les gens aussi vite que son annonce les avait (en apparence) soudés. La gestion de la crise, maladroite au début de la pandémie, notamment au regard de l’absence de masques et du débat sur leur hypothétique inutilité, en est pour partie responsable, la montée du covidoscepticisme y trouvant partiellement sa source et, surtout, un prétexte pour se déployer en France. Ce covidoscepticisme a été instrumentalisé (avec succès !) par les populistes. Le RN s’en est régalé ! Il aussi été le moyen pour des forces hostiles étrangères d’infiltrer ces réseaux, de les amplifier, de faire que notre démocratie vacille sous le poids de la désunion des Français-es.
Parmi les chantres du covidoscepticisme, parmi les gourous antivax, nombreux étaient les Trumpistes et les adeptes de la secte complotiste Qanon. Et nombre d’entre eux ont ensuite pris fait et cause pour Vladimir Poutine lorsqu’il a envahi l’Ukraine en février 2022. Et iels continuent de le faire. Pendant la pandémie, ces discours anti-science & anti-système pullulent sur les réseaux, touchant les jeunes (et les moins jeunes), alors qu’iels sont pour beaucoup confinés chez eux, parfois dans des conditions indignes. Seul-es. Chacun-e devant son écran. Chacun-e dans sa bulle (algorithmique).
Au sortir de la crise, le “quoi qu’il en coûte” aura masqué, durant un temps, l’impact de la pandémie sur l’économie et, particulièrement, sur le commerce. Une mesure qui n’a pas eu l’effet escompté sur le long terme : on ne compte plus les liquidations judiciaires d’enseignes. Il faut dire que la pandémie a aussi permis à des enseignes comme Shein de croître comme jamais, profitant de la fermeture des commerces et du succès de TikTok (amplifié lui aussi par les confinements et la solitude des jeunes), en usant de techniques marketing tant agressives qu’efficaces.
En outre, ce “quoi qu’il en coûte” et les dépenses qu’il a générées n’a pas empêché le gouvernement de continuer, comme si de rien n’était, sa politique de l’offre en faisant des cadeaux aux plus riches et aux multinationales, dégradant, de fait, les finances du pays. Une politique de l’offre à laquelle s’accroche Emmanuel Macron telle une moule à son rocher, comme si sa propre vie en dépendait. Cette politique, on en connaît le bilan : des pauvres toujours plus pauvres, des riches plus riches que jamais, des services publics et, notamment, un hôpital et une école, en lambeaux.
Autrement dit : les Français-es se retrouvent livré-es à eux-mêmes, dans un contexte où iels ne peuvent plus boucler leurs fins de mois, dans un contexte où, si iels tombent au chômage, on les stigmatisera, on les punira en abaissant encore leurs allocations.
Dans un contexte où si iels finissent par toucher le RSA, on leur enlèvera de quoi survivre si iels ne travaillent pas gratuitement. Dans un contexte, aussi, où on accuse sans arrêt autrui d’être la cause de leurs malheurs (qui en fait sont pour beaucoup le fait de la politique gouvernementale). Ainsi, tout serait de la faute des immigrés, des musulmans. Tout serait de la faute du “wokisme”, coupable idéal de la montée de l’extrême droite. Tout serait de la faute des services publics, trop coûteux et pas assez “efficaces” (entendre : rentable pécuniairement à court terme).
Non, la violence à l’école n’est pas due aux couteaux. Les interdire ne changera rien. Elle est due au fait que plus personne n’en peut plus. Enfants, parents, grands-parents. Et que plus personne ne se supporte, chacun-e s’étant, ces dernières années, habitué-e à une quasi absence de contradiction induite par les bulles algorithmiques.
Les gens sont lessivés. Et les gens en ont marre d’être sans arrêt tenus pour responsables de l’impact désastreux de la politique Macroniste sur leur propre vie. Les gens en ont marre de se faire engueuler par un Président menteur, méprisant et dans le déni le plus total de ses échecs cuisants. Les ados, ce sont les enfants de ces gens. Des ados que l’école n’a plus les moyens d’éduquer, que l’hôpital n’a plus les moyens de soigner (surtout lorsqu’il s’agit de leur santé mentale). Et dont les parents n’ont plus les moyens, parfois et de plus en plus souvent, de nourrir comme il se doit. Alors ces ados se réfugient sur les réseaux sociaux, cherchant (en vain) un sens à leur vie (déjà bien abîmée par les crises successives) dans la bouche d’influenceuses et influenceurs leur donnant l’illusion d’un avenir meilleur, d’une existence retrouvée. Des influenceuses et influenceurs qui, pour certain-es, ne sont autre que les porte-paroles de mouvances réactionnaires, de l’extrême droite, de tyrannies étrangères. On leur promet succès et argent et, dans le même temps, on les entraîne dans des théories racistes, homophobes, transphobes, sexistes, masculinistes.
On leur fait croire que toute contradiction à leur endroit mérite vengeance et punition. On leur dit que leurs malheurs sont dus à l’émancipation des femmes. On leur dit qu’il faut être fort avec les faibles. On leur dit que tout est de la faute… de la démocratie.
Quand allons-nous prendre la mesure du problème et en traiter le fond ? Quand allons-nous aider les citoyen-nes à (enfin !) se retrouver, à s’entendre, ou même seulement à se supporter ? L’heure est grave, et elle tourne. Si rien n’est fait, c’est une victoire du RN en 2027 qui nous attend.