Il y a environ cinq mois, la ministre de l’Éducation, Élisabeth Borne, annonçait que la série Adolescence pourrait être diffusée dans les établissements scolaires, Netflix ayant donné son accord. L’objectif affiché : sensibiliser les élèves à « la banalisation de la violence sur les réseaux sociaux » et « à la propagation de thèses masculinistes issues de sphères misogynes prônant la violence contre les femmes ».
Dans le débat public, la discussion a surtout tourné autour de la surexposition aux écrans. Un angle commode, presque rassurant. Et à écouter certains « spécialistes de plateaux », on pourrait croire qu’ils n’ont pas vu la série. Car la question centrale n’est pas tant l’existence des réseaux sociaux… que la facilité déconcertante avec laquelle nos garçons y sont exposés aux contenus masculinistes.
A-t-on eu un véritable débat sur ce point, en France ?
Non.
Pourquoi ?
Parce que le masculinisme est le petit frère très obéissant du patriarcat. Et que beaucoup d’hommes n’ont aucun intérêt à scier la branche sur laquelle ils sont installés, confortablement, depuis longtemps. Les réseaux sociaux, c’est pratique : tout le monde ne les utilise pas, donc on peut les désigner comme le diable sans trop de risque, en se donnant des airs de « bon père de famille ».
Pourtant, lorsqu’une personne se fait renverser par une voiture, on ne traduit pas la voiture en justice. On regarde la vitesse, les circonstances, la responsabilité du conducteur. On ne dit pas : « Ce piéton avait 14 ans, il n’avait rien à faire dehors, la ville est trop dangereuse. »
Et pourtant, c’est exactement ce que l’on fait avec les réseaux sociaux : au lieu d’apprendre aux jeunes à s’y déplacer, on les culpabilise d’y être.
Les réseaux sociaux sont aujourd’hui une partie du monde. Faut-il vraiment attendre 15 ans, 16 ans, 18 ans pour y accéder ? Ne pourrait-on pas, comme pour la rue, apprendre aux enfants à s’y repérer, s’y protéger, s’y situer ? Quelle fierté, le jour où mon fils et sa cousine sont allés seuls à la boulangerie ! Mais pour les outils numériques, trop souvent, on les met dans les mains des enfants en leur disant : « Débrouillez-vous. »
Ni les parents, ni l’école, ni l’État ne semblent se sentir responsables.
Sauf pour interdire.
Mais interdire n’est pas éduquer.
On parle beaucoup de santé mentale, et c’est essentiel. Mais si l’on changeait un peu de perspective ? Les dangers des réseaux sociaux sont les mêmes que ceux de la vie réelle : discours idéologiques toxiques, complotisme, pression sociale, dépendance, comparaison. On ne protège pas les enfants en leur retirant l’accès au monde : on les protège en leur donnant les outils pour le comprendre.
Il faut aussi qu’ils s’éloignent des écrans, bien sûr — lire, jouer dehors, découvrir. Les conséquences cognitives existent. Mais avant tout, il faut leur apprendre à réfléchir, à décrypter.
Avec l’arrivée de l’IA, l’école doit évoluer : la pensée critique ne sera plus un luxe.
Les incels, eux, ne sont pas une invention de TikTok. Leur idéologie existe depuis longtemps : ils théorisent que les femmes leur refuseraient une sexualité à laquelle ils auraient droit. La femme comme dû, comme objet à contrôler.
Pourquoi ce retour en force aujourd’hui ?
Est-ce que vraiment tout cela ne serait « que » la faute des réseaux sociaux ?
Regardons le contexte :
– les féminicides sont en hausse,
– être accusé — ou même condamné — pour viol ne met pas fin à une carrière,
– certains estiment que le procès de Mazan a été « exagéré »,
– on peut insulter une députée parce qu’elle « agace »,
– le taux de condamnation pour viol est infime,
– et lorsque des policiers violent, le ministre de l’Intérieur ne condamne même pas.
Alors, vraiment, ce serait TikTok, le problème ?
La réalité est plus simple, plus dérangeante : les hommes haïssent les femmes.
Pas tous, évidemment, mais suffisamment pour façonner un système.
Pourquoi ?
Parce que pour les masculinistes, les féministes – ces « hystériques » -voudraient leur retirer leur virilité. Alors que les féministes demandent seulement que l’on cesse de tuer, frapper, violenter ou harceler les femmes.
Pas plus. Pas moins.
Les contenus masculinistes prospèrent sur les réseaux sociaux. Peut-être que vous ne les voyez pas, parce que vous n’êtes pas la cible.
Moi non plus.
Mais mon fils, si.
Quelques minutes sur TikTok, sans même chercher, et l’algorithme lui sert des vidéos d’hommes « virils » lui expliquant que les femmes doivent s’habiller avec modestie, ne pas sortir, ne pas avoir de « bodycount » et surtout ne pas être féministes.
Pendant ce temps, une adolescente, elle, regarde des tutos beauté pour poser un highlighter ou choisir un mascara. Aucune vidéo ne lui expliquera qu’elle devrait tuer quelqu’un.
Et pendant ce temps encore : trois attentats masculinistes ont été déjoués en un an en France.
On a déjà connu cela : l’attentat de l’École Polytechnique de Montréal reste leur modèle absolu : 14 femmes blessées, 11 assassinées, au nom de la haine des féministes.
Alors, la vraie question est là :
Contre quoi sommes-nous en train de nous battre ?
Contre TikTok ?
Ou contre le masculinisme ?
Parce qu’il serait peut-être temps de regarder au bon endroit.
Pour aller plus loin :
La série « Adolescence » pourra être diffusée en classe, annonce Elisabeth Borne
Les attentats masculinistes, une menace grandissante en France | Mediapart
Réseaux sociaux : en excès, leurs conséquences cognitives seraient dramatiques chez les 9-13 ans