La République des business schools, ou comment le “tout-management” a tué l’intérêt général

La République des business schools, ou comment le “tout-management” a tué l’intérêt général
Jean-Noël Barrot (HEC), Guillaume Kasbarian (ESSEC) et Agnès Pannier-Renacher (HEC) sont tous-trois diplômés de grandes écoles de commerce.

Ils et elles rêvent d’“optimiser” la France comme un tableur Excel et d’“innover” jusque dans nos hôpitaux. Formé·es à vendre des marques (quand il ne s’agit pas seulement de vendre leur propre personne au plus offrant), ils et elles dirigent désormais nos ministères et administrations. Les diplômé.es des grandes écoles de commerce ont pris le pouvoir sur l’État. Et ce sont les services publics et les Français.es qui paient la note….

“HEC, Essec, ESCP… Le nouveau vivier de la fonction publique”, titrait Le Point en février dernier, rapportant que “les diplômés des écoles de commerce investissent la haute administration et squattent les ministères.” 

C’est peu dire. Agnès Pannier-Runacher, Éric Lombard, Amélie de Montchalin, Jean-Noël Barrot… En 2024, pas moins de 35 % des membres du gouvernement Barnier et 36 % des membres du gouvernement Bayrou étaient issus d’une grande école de commerce.  Un phénomène jusque-là marginal, ayant explosé sous l’ère Macron, et salué par Le Point, qui estime que “leur savoir-être, leur aisance à l’oral, leur résistance au stress et leur parfaite connaissance du monde de l’entreprise”, représentent des atouts majeurs, tant au sein de nos administration que dans nos ministères. “Ce qui a vraiment changé la donne”, se réjouit le média classé à droite, “c’est la réforme de la fonction publique de 2019 et le recours facilité aux contractuels, y compris pour des postes de direction. Dans les écoles de commerce, cela a fait l’effet d’un appel d’air.” Et pour nos administrations ? Pour nos services publics ? Pour les citoyen.nes français et l’avenir de leur pays ? “On s’en fout”, me rétorquerait sûrement Le Point.

Ah, la France. Ses fromages, son pain, ses marinières, ses bérets. Ses monuments, ses paysages somptueux et variés. Ses français.es, que d’aucuns jugent râleur.euses, fainéant.es et prétentieux.euses. Son système de santé, jadis envié de par le monde et qui, à coups d’économies et “d’optimisations”, prescrites, le plus souvent, par des consultant.es fraîchement diplomé.es d’HEC ou de l’ESSEC n’ayant aucune expertise (ou même un minimum de connaissances) en politiques de santé, se meurt doucement mais sûrement, au détriment des Français.es et de leur santé. Son système éducatif (preque) gratuit. Ses universités, (de moins en moins) gratuites elles aussi et, à l’image de l’Hôpital public, laissées en décrépitude par nos dirigeant.es depuis des années. Comme le dit le proverbe : qui veut tuer son chien l’accuse de la rage.

Naître riche et gagner plus : la “méritocratie” à la française

Autre exception française et non des moindres, ses grandes écoles de commerce, auxquelles peuvent quasi-exclusivement accéder celles et ceux dont les parents ont déjà “réussi” et ont ainsi la capacité de débourser plusieurs dizaines de milliers d’euros par an pour les études de leurs enfants. Et lorsque ces enfants feront leurs premiers pas dans la vie active, ils se verront récompensés d’avoir des parents fortunés en percevant un salaire nettement supérieur à leurs collègues diplômé.es de l’université, même si ils.elles occupent des fonctions en tout point similaires : “Félicitations pour votre patrimoine familial Jean-Eudes ! Tenez, voici 70K pour commencer. Je sais… ce salaire n’est pas mirobolant mais d’ici un an, vous allez passer Directeur. Vous êtes diplômé d’une grande école de commerce. Il est par conséquent normal qu’à compétences égales voire inférieures, l’on vous fasse évoluer beaucoup plus rapidement et, surtout, à des postes bien plus stratégiques que vos collègues universitaires et auto-didactes, fussent-ils très impliqués et efficaces dans leur travail. De toute façon, ces gens-là n’ont aucune ambition.”

Faire la fac : un crime passible de stagnation professionnelle à perpétuité

Si la situation dépeinte ci-dessus revêt un caractère volontairement caricatural, elle n’en reste pas moins représentative du recrutement et du management “à la française” auxquels j’ai été confrontée durant mes 20 premières années d’expérience en entreprise. Pour preuve, les situations tant injustes que malheureusement banales, dont j’ai eu, directement ou indirectement, la “chance” d’être témoin, et dont je vous propose de lire, ci-après, quelques exemples choisis :

  • Il y a quelques années, l’une de mes ex-collègues ayant quitté son poste au sein de l’entreprise pour laquelle je travaillais alors a été remplacée par une jeune diplômée de l’ESSEC. Cette dernière s’est vu proposer un salaire deux fois plus élevé.
  • Même entreprise, situation similaire ou presque : un collègue, plutôt sympathique mais dont nul n’ignorait alors l’incompétence, a quitté l’entreprise après 2 ans de mauvais, quoique loyaux sé(r)vices. Diplômé d’EM, le jeune homme n’avait à son actif que 8 années d‘expérience professionnelle. Sa remplaçante, quadragénaire diplômée de l’université et affichant près de 20 ans d’expérience au compteur, n’a pas réussi à négocier un salaire équivalent à son prédécesseur. “Ah mais chère madame, que voulez-vous, vos diplômes c’est du caca boudin par rapport aux siens.” Il faut également reconnaître que le fait d’être une femme n’a pas dû forcément l’aider à négocier un salaire équivalent à celui de son collègue masculin…
  • Autre entreprise, même situation : alors qu’il a bénéficié d’une promotion, un collègue a logiquement demandé une augmentation auprès de son manager. Sa réponse ? “Mais voyons, je ne peux pas te donner autant que machin-truc, il a fait HEC !”
  • Il y a de cela plus de 15 ans, après plusieurs années passées au sein d’une entreprise, alors que la Direction ne tarissait pas d’éloges sur mon travail, je me décide à demander une augmentation. La réponse ? “Tu as fait quelles études toi déjà ?”  Cette expérience m’a fait, ce jour-là, réaliser que mes études universitaires étaient non seulement inutiles mais qu’elles allaient, aussi et surtout, représenter un réel frein à mon évolution de carrière.

Comme l’avait évoqué , il  y a quelques années, avec autant d’humour que de justesse, Karim Duval dans l’une de ses vidéos, contrairement à un crime, même grave, les études universitaires ne bénéficient pas de prescription, même au bout de 20 ans de carrière. C’est un fait (déplorable).  Les choix scolaires que vous faites pendant et au sortir de l’adolescence et ce, que ces choix soient volontaires ou contraints par des questions budgétaires inhérentes à la classe sociale à laquelle vous appartenez, vous définiront toute votre vie. 

De fait. Si vous avez la chance de pouvoir accéder à des études supérieures et que vous optez pour la fac, a fortiori si vous avez fait le choix suicidaire et saugrenu d’étudier les lettres, les langues, la sociologie ou encore la philo, on estimera que vous êtes moins compétent.e, puisque l’on déduira de votre choix d’études que vous êtes…intellectuellement inférieur. D’ailleurs, on vous le fera régulièrement sentir. Spoiler alert : l’odeur du mépris est similaire à celle d’un vieux prout de choux de Bruxelles au maroilles. Elle est répugnante.

Or, si elle a suscité démentis et levées de boucliers de la part des chantres de la France “à la (fils à) papa”, de la part des membres autoproclamés de “l’élite de la nation”, la tribune de Michaël Lainé, publiée dans Le Monde en 2018, correspond parfaitement à ce que j’ai pu moi-même constater, quotidiennement, dans le cadre de mon travail.

Le culte du réseau et de l’ambition personnelle, pas celui du travail

Doté.e d’un vocabulaire souvent pauvre, lequel vocabulaire, s’il est émis à l’écrit, se retrouve régulièrement mal orthographié, le.la diplômé.e d’école de commerce typique (il existe évidemment des exceptions) ne fait preuve d’aucune curiosité intellectuelle et encore moins culturelle. De fait, il.elle ne fraye qu’avec ses congénères estampillés HEC, ESSEC, EM et consort. Il ne s’agirait pas de se compromettre en sympathisant avec des gueux, n’est-ce pas ?

Archétype du conformisme aristocrato-bourgeois, il.elle honnit la différence, vomit sur l’excentricité et chie sur l’empathie. Fièrement autoqualifié.e d’ambitieux.se, son carriérisme n’a d’égal que sa paresse et, par là même, son manque de compétence, de savoir-faire, de savoir-être. Trop occupé.e à promouvoir sa personne et à réseauter pour grimper les échelons, il.elle oublie généralement de travailler. “Travailler, vous dites ? Mais ce n’est pas seulement pour les petites gens ça ?”

Détestant mettre les mains dans le cambouis, il.elle se débrouille toujours pour déléguer son travail à autrui, même si cet autrui n’est pas son.sa subalterne. Une fois le travail réalisé, il.elle s’empressera de se réapproprier ce travail pour, in fine, récolter reconnaissance, félicitations, récompenses…et promotion.

Pur produit du système, il.elle fera tout pour préserver le statu quo dans l’entreprise ou l’institution dans laquelle il.elle évolue. Il n’y a rien d’étonnant à cela : pourquoi remettre en question un système qui vous a tout donné et vous érige en exemple pour la nation ? 

C’est précisément là que le bas blesse. Comment des personnes sortant d’écoles où sont promus sexisme, homophobie, séparatisme et humiliation sociale, où l’on explique aux étudiant.es que le néolibéralisme n’est pas une idéologie parmi d’autres mais l’unique pensée économique qui vaille et où, désormais, l’on promeut le libertarianisme à la sauce Musk pourraient agir, à la tête de l’État et dans ses administrations, pour l’intérêt général et ainsi, oeuvrer à un avenir meilleur pour la France et les Français.es ? 

Rendre le pouvoir à celles et ceux qui servent l’intérêt général

Il est temps d’agir pour l’intérêt de la France et des Français.es. Il est temps de faire en sorte que celles et ceux qui agissent dans leur propre intérêt et au profit des seuls plus riches et plus puissants, ne décident plus de notre avenir. Il est urgent que nos administrations soient dirigées, non plus par des diplômé.es de grandes écoles de commerce, mais par celles et ceux qui œuvrent, en local et au quotidien, pour les citoyen.nes. Autrement dit, par nos fonctionnaires des services déconcentrés de l’État et des collectivités, par celles et ceux qui connaissent leur métier, et qui savent les impacts qu’ont les décisions politiques sur les services publics et sur la vie des Français.es. 

Pour rendre cela possible, ne donnons pas, nous, simples citoyen.nes, une seule voix aux femmes et hommes politiques motivé.es par le seul objectif d’œuvrer pour leur caste sociale, pour leurs “potes de promo” et “ami.es du BDE” . Votons pour celles et ceux qui auront le courage d’agir pour le bien commun et qui, pour ce faire, s’entoureront de personnes de conviction, de femmes et d’hommes prêt.es à se battre pour notre pays. Et pour la survie de notre démocratie. 

Auteur-ice

Related Posts
[Sondage] Mort annoncée de la Macronie : la fin d’une parenthèse politique… et le début (ou le retour) d’une autre ?
Lire la suite

[Sondage] Mort annoncée de la Macronie en 2027 : la fin d’une parenthèse politique… et le début (ou le retour) d’une autre ?

Un sondage bouscule la gauche : Glucksmann passe devant Mélenchon. Aussitôt, les “analyses” fusent, les éditos s’enflamment et chacun y va de sa prophétie de comptoir — comme si l’élection avait lieu demain. Reste qu’au-delà des commentaires à l’emporte-pièce, les réactions suscitées par ce sondage disent beaucoup de l’état réel des forces politiques en France…