Le feuilleton Sarkozy, ou la hiérarchie implicite des vies

Le feuilleton Sarkozy, ou la hiérarchie implicite des vies
Façade Nord de la prison de la Santé, sur le boulevard Arago © Enguerrant

Hier, la France médiatique a trouvé son drame du jour. Nicolas Sarkozy est entré à la prison de la Santé. Sur toutes les chaînes, des directs, des duplex, et des journalistes en roue libre pour commenter ce qui, objectivement, n’a rien d’un événement exceptionnel, puisqu’il ne s’agit que d’une simple application de la loi. Un homme a été jugé coupable d’un délit puni par une peine de prison. Il a donc été incarcéré.

Sur les chaînes d’info, on a cependant préféré dérouler le tapis rouge à la dramaturgie. Sur France Info par exemple, on a pris soin de préciser qu’il allait devoir (horreur absolue !) “nettoyer tout seul” sa “cellule de neuf mètres carrés”, oubliant que vivre dans de telles conditions faisait partie du quotidien de millions de françaises et de français qui, eux, n’ont été jugés coupables d’absolument rien.  Pourtant, en France, le mal-logement est une réalité tant massive que déplorable. En île de France notamment, selon un récent rapport de la Fondation pour le logement des défavorisés, 1,3 million de personnes sont mal logées. Parmi elles, plus de 634 000 vivent dans un logement manquant d’au moins deux pièces, et 1,2 million sont en situation de surpeuplement modéré. Ces vies-là ne font en revanche pas l’objet d’éditions spéciales.

Et comme si la farce n’était pas assez cynique, Jean-Claude Darmon, déclarait hier sur Europe 1 (ceci dit on n’en attendait pas moins d’une radio du groupe Bolloré) : « C’est un choc pour des gens comme nous. Nous ne sommes pas faits pour la prison. » Comprendre : la loi, c’est pour les autres. Les pauvres. Les sans-noms. Les invisibles. Pour “nous”, les puissants, elle ne devrait pas s’appliquer.

Cette hiérarchie implicite des vies transpire dans chaque mot, dans chaque ton grave, dans chaque plan fixe devant la prison de la Santé. Les médias traditionnels ont, une fois encore, dramatisé à outrance ce qui relève d’un fonctionnement normal de la justice. Parce que c’est Nicolas Sarkozy. Parce qu’il n’est pas “comme les autres”.

C’est précisément là que le contraste devient insupportable. Pendant qu’on s’émeut du sort carcéral d’un ancien président reconnu coupable des faits qui lui étaient reprochés, une injustice bien réelle a tué un jeune homme honnête : Mamadou Garanké Diallo est mort, en septembre dernier, victime d’une obligation de quitter le territoire français. Arrivé seul à Rouen en 2019 à 14 ans et pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance, il était apprenti boucher à Darnétal, dans l’agglomération de la capitale de la Seine-Maritime. Bien intégré, apprécié, il voulait simplement travailler et vivre « comme tout le monde », disait-il, dans des propos relayés par Libération. Seulement, en 2023, il reçoit une première OQTF. Puis une deuxième en 2025. Alors il part. Tente de rejoindre la Grande-Bretagne pour échapper à une expulsion absurde. Et meurt près de Dunkerque. 

Mamadou n’a pas eu de direct devant un centre de rétention. Pas de caméras en boucle. Pas de récit tremblotant sur ses combats, sur ses derniers instants. Sur son destin, ô combien tragique. Et profondément injuste. 

D’un côté, une justice ordinaire qui s’applique à un homme puissant, et qu’on transforme en tragédie nationale. De l’autre, une injustice qui tue dans l’indifférence un jeune homme sans réseau, sans micros, sans “amis puissants”. Voilà le vrai scandale.

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