Contre le RN, l’union sans cap est un mirage : mieux vaut être moins nombreux-euses et mieux armé-es.
Dimanche 9 juin 2024. 20h. Les résultats des élections européennes sont sans appel. La liste du parti présidentiel sauve, de justesse, sa deuxième place, affichant un seul point d’avance sur la liste PP-PS, et pas moins de 16 points de moins que la liste RN menée par Jordan Bardella, qui enregistre le score historique de 31 %. À peine une heure plus tard, dans un contexte où le Rassemblement National domine largement le reste de l’échiquier politique français, Emmanuel Macron décide seul, contre l’avis de son Premier ministre notamment, de dissoudre l’Assemblée nationale, jetant, peu ou prou, la France et les Français-es dans les bras de l’extrême droite. Un geste fou, irresponsable, mû par son seul égo blessé de Narcisse des temps modernes, qui laisse présager le pire : l’accession, à peine un mois plus tard, de Jordan Bardella à Matignon.
La grenade dégoupillée, le NFP et la course au plat de lentilles
Jouant la montre avec un premier tour se tenant à peine deux semaines plus tard, le Président fait alors le pari d’une gauche qui resterait divisée malgré l’urgence de combattre la menace brune, et sur un barrage républicain qui s’organiserait, au second tour, à la faveur de son propre camp. Pari perdu : La machine à unir de la gauche se met en branle dès qu’elle apprend sa décision tant incompréhensible qu’irresponsable. Unir la gauche, oui, mais pas toute la gauche pour Place publique notamment qui, dans un premier temps, convainc Olivier Faure et Marine Tondelier d’unir, face à la menace de l’extrême droite, la gauche non Mélenchoniste uniquement. Mais c’est sans compter les nombreux-euses député-es écologistes dont une large part est assurée de perdre son siège face à un-e candidat-e LFI. Une urgence à sauver son propre cul qui, selon toutes apparences, se révèle pour eux plus cruciale que l’urgence de sauver le pays, et une course à la gamelle qui a pour conséquence un retournement de veste de Tondelier, qui accepte finalement de s’unir avec LFI, entraînant avec elle Faure…et toute la gauche.
C’est ainsi que dans les jours qui suivent la dissolution, les partis de gauche se lancent dans d’âpres négociations, dominées par La France Insoumise, forte du plus gros contingent de député-es à l’Assemblée nationale.
La rhétorique des “extrêmes” : un mensonge érigé en vérité pour faire perdre toute la gauche
S’ensuit une campagne au cours de laquelle la plupart des cadres et élu-es du centre et de la droite perdent toute dignité, usant d’une rhétorique visant à disqualifier toute la gauche, du fait de son union avec une France Insoumise qui serait devenue, comme par magie, un parti “d’extrême gauche”. Que cette affirmation soit mensongère, et qu’en faisant cela, ils risquent, in fine, de faire gagner le RN, peu leur importe. Pour eux, seul compte leur propre intérêt (qu’il s’agisse des intérêts personnels des candidat-es ou, plus largement, de leur parti). Quels arguments ce centre et cette droite irresponsables auraient-ils trouvés pour contrer une gauche unie sans LFI ? Impossible de le savoir. Toujours est-il que l’alliance, dès le premier tour, avec les insoumis-es, leur a servi des éléments de langage sur un plateau. Qui plus est, elle aura aussi radicalisé le discours d’un nombre non négligeable de personnalités politico-médiatiques qui, jusqu’en juin 2024, s’estimaient encore (à tort pour certain-es, mais pas pour tous-tes) de gauche. C’est le cas, entre autres, de l’humoriste Sophia Aram qui ne sait plus faire un seul sketch ou une seule chronique sans parler de LFI et, plus généralement, de toute une gauche qui serait « soumise à Mélenchon ». Plus qu’une obsession, jeter quotidiennement l’opprobre sur la gauche est devenu une espèce de poison addictif pour nombre de journalistes, éditorialistes et humoristes, qui, peu à peu et telles des grenouilles trempées dans l’eau bouillante, glissent vers un populisme (si ce n’est un Trumpisme) de droite qui ne dit pas son nom et ce, sans s’en rendre compte. Pourtant (saisissez l’ironie de la chose et le déni total de la dame), c’est précisément ce que Sophia Aram disait récemment de la social-démocratie, jugeant qu’elle s’était laissée “Mélenchoniser”…à son insu.
En s’attaquant à la social-démocratie, Sophia Aram se trompe d’ennemi. À moins que pour elle, l’ennemi soit la justice sociale, l’écologie, l’humanisme, le féminisme et l’égalité de toutes et tous, sans discrimination, et que l’ami soit un “centre” et une droite qui préfèrent gouverner avec le Rassemblement National et la droite ultra-conservatrice de Bruno Retailleau (et ses soutiens catholiques réactionnaires, Bolloré et Stérin), que de voir la gauche accéder au pouvoir et remettre en cause sa politique tant antisociale que délétère pour l’économique et, plus largement, pour la démocratie.
Non, le “centre” n’est pas “raisonnable”, comme il aime à l’affirmer quotidiennement. Et la droite dite “républicaine” ne l’est pas plus. Sachant cela, quelle stratégie la gauche devra-t-elle adopter en cas de législatives anticipées ? Devra-t-elle de nouveau unir toutes ses forces, comme en 2024 ? Ou sera-t-il préférable, non seulement pour elle mais, aussi et surtout, pour la France, de construire une union sans LFI ?
Quand s’unir revient à se tirer une balle dans le pied
Personnellement et contrairement à mon ami Jocelyn Pothier, je crois qu’une union de la gauche non Mélenchoniste serait plus efficace pour contrer le RN et, au passage, pour achever une Macronie agonisante qui tue notre démocratie à petit feu par son refus obstiné de quitter le pouvoir malgré un désaveu pourtant patent de la part des Françaises et des Français. Cela, pour plusieurs raisons, outre le fait que La France Insoumise soit devenue le repoussoir idéal d’un centre et d’une droite qui usent et abusent d’arguments populistes et mensongers pour arriver, coûte que coûte, à leurs fins (comme le fait Mélenchon à l’endroit des autres partis de gauche en leur décernant des brevets de droite, au fond…).
Si l’on voulait (vraiment) qu’une telle union globale de la gauche puisse faire la différence, elle devrait se faire sans considération de pertes de sièges des député-es en place et, surtout, en prenant en compte les spécificités de chaque circonscription et des électeur-ices qui la composent. Cela n’a indubitablement pas été le cas en 2024, chaque parti cherchant à grappiller des investitures, dans l’espoir de se retrouver avec un rapport de force en sa faveur au sein du NFP et, de manière générale, au sein de la gauche. À ce jeu, La France Insoumise est passée maître, arguant depuis 2022 du fait que les 22 % obtenus par Jean-Luc Mélenchon faisaient d’elle le premier parti de gauche. Or, cette hégémonie est artificielle.
Des investitures attribuées en dépit du bon sens
En 2022 et il ne faut pas l’oublier, le bon score de Jean-Luc Mélenchon est, pour partie tout du moins, dû à un report de voix des électeur-ices du Parti Socialiste et de EELV qui, au vu de la dynamique de l’insoumis, ont été incité-es à “voter utile” en lui donnant leur voix, plutôt qu’à Anne Hidalgo ou Yannick Jadot. Ces 22 % permettent ensuite à LFI de s’autoproclamer chef de file de la Nupes et de s’octroyer 316 circonscriptions hors OM et FDE, dont plus des trois quarts des circonscriptions acquises à la gauche, laissant 68 investitures au PS. Une broutille, dont moins de 6 % des circonscriptions acquises. Et quand on y regarde de plus près, on se rend compte que c’est le PS qui obtient le meilleur taux de réussite, avec 44% de ses candidat-es élu-es, contre à peine 23% pour LFI. On peut donc aisément s’imaginer qu’avec plus de candidat-es PS et moins de candidat-es LFI, la Nupes aurait eu un poids bien plus important à l’Assemblée nationale.
Il se passe la même chose en 2024, par exemple, en Bretagne, terre modérée par excellence, où lors des élections européennes, la liste PP-PS arrive largement devant la France Insoumise. Elle dépasse même la liste Macroniste dans cette région, avec 18,44 % des votes, contre 17,41 % pour la liste de Valérie Hayer et… 7,08 % pour la liste de Manon Aubry, dont la liste est arrivée seulement 6e. Pourtant, lors des législatives de 2024, la plupart des candidat-e-s NFP investi-e-s en Bretagne sont des candidat-e-s LFI. Résultat : le bloc central remporte haut la main le scrutin en Bretagne avec 15 sièges contre 8 pour le NFP. Un choix de candidat-es qui défie toute logique électorale (du moins, si cette logique vise à gagner des circonscriptions face au centre et à la droite, et donc à renforcer la gauche au Parlement). De fait, étant donné que La France Insoumise ne se résoudrait, à priori, jamais à épouser cette logique en se retirant des circonscriptions où elle est sûre de perdre, alors que l’on sait de surcroît qu’il n’y a rien de pire qu’un candidat LFI pour gagner face à l’extrême droite au second tour, une union de toute la gauche ne peut aucunement garantir, non seulement que la gauche arrive en tête et accède (enfin !) au pouvoir, mais, aussi et surtout, que le RN n’obtienne pas, lui-même, la majorité absolue, avec les conséquences désastreuses que l’on sait sur l’avenir de notre pays…et de notre démocratie.
Par ailleurs, les récents sondages le montrent : plus le reste de la gauche plaide pour une union (plus ou moins assumée selon les différentes parties prenantes), moins l’électorat semble lui faire confiance. Résultat : des chiffres désastreux, tant pour Faure, que pour Tondelier, dans les différentes études menées auprès des Français-es.
En conclusion, j’estime (en tout cas en l’état) que si l’on veut que la gauche puisse tirer son épingle du jeu dans le cadre de prochaines élections législatives anticipées, elle doit partir unie, certes, mais sans LFI.